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Porcupine Music "L'art qui vous prend à rebrousse poil"

7 mai 2018

Le "chirurgien sonore" du rock progressif : Steven Wilson

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Steven Wilson en 2017, séance photos pour l'artwork de son dernier album To The Bone, dirigée par son fidèle complice Lasse Hoile.

 

On le présente aujourd'hui comme "the most successful british artist you've never heard of" (l'artiste britannique le plus connu dont vous n'ayez jamais entendu parler). Pourtant, l'éternel jeune homme au look de geek irrésistible a déjà cinquante ans ainsi qu'une longue et très prolifique carrière derrière lui. Pour moi, il incarne clairement ce qu'il y a de plus intéressant dans l'univers du pop rock actuel, et je suis un fan absolu depuis bientôt dix ans. Ce n'est pas pour rien que le titre de mon blog rend hommage à la formation qui l'a rendu célèbre, au nom mystérieux, vaguement surréaliste, que j'adore : Porcupine Tree.

Alors ? Est-ce que vous aussi faites partie de ceux qui n'ont jamais entendu parler de ce monsieur ? Sûrement pas si vous faites partie de mon entourage, tant je lui en rebats les oreilles à longueur de temps. C'est donc partie pour une longue plongée introspective dans le labyrinthe psychédélique et un brin angoissant du britannique, au travers des différentes formations qu'il a dirigées et auxquelles il a participé.

Présentation générale : "au commencement était le son"

Avant d'attaquer par le menu les divers projets auxquels notre stakhanoviste a contribués, je voulais quand même faire un tour du propriétaire, histoire de dégager un fil d'Ariane, quelques invariants au sein d'une oeuvre pléthorique.

-Steven Wilson est avant tout un producteur, un maniaque du rendu sonore de la musique. Sa réfléxion et son travail sur le rendu de ses oeuvres sont impressionnants. Cela n'est guère étonnant quand, tout petit, il traînait dans les fils d'une machine à créer des sons imaginée par son ingénieur de père. Très vite, il s'est mis à bidouiller des bruitages et faire des expérimentations avec la guitare qu'on lui a offerte. On le voit, notre homme est un praticien, un homme d'expérience qui aime jouer avec la matière sonore avant de proposer une vision ou une conception théorique de la musique. Pour moi c'est dans cette science du climat sonore qu'il est le meilleur , à l'origine d'ambiances prenantes, profondes, et très personnelles. 

Ses talents de producteur autodidacte sont d'ailleurs régulièrement sollicités pour remixer et remettre au goût du jour les oeuvres des grands du progressif des années 70' : comme King Crimson ou Jethro Tull. 

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14 décembre 2016

Tool : du bon usage de l'esbroufe metaphysique

Bonsoir chers internautes ! 

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Maynard James Keenan, le mystérieux chanteur du groupe qui, comme il se doit, et comme tous les artistes géniaux, fait le caméléon en changeant constamment de look, se donne l'air fou et décalé dès qu'il le peut. J'ai une certaine tendresse pour la coupe iroquois de la photo de droite. 

 

Le groupe dont je vais vous parler est très àn la marge dans le courant du metal. On le place même à l'occasion dans le rock alternatif, quelque part entre le progressif et le courant neo metal dont on fait bien involontairement un précurseur, tout comme Faith No More, que la filiation embarrasse, et pas qu'un peu. En bref, ce groupe est inclassable, comme tout représentant de bonne musique. Ne pourrait-on pas, d'ailleurs, faire un parallèle avec la littérature, où le génie de l'oeuvre tient moins à son appartenance à un genre, en fût-il le parangon, qu'à son unicité irréductible ?

Voici un combo fascinant, avec une musique fascinante, un background métaphysique fascinant, une imagerie fascinante...

 

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Artwork pour l'album 10000 Days. 

A tel point qu'on se demande jusqu'à quel point le quatuor calcule, s'échine à se rendre profond, original, authentique... qu'on soupçonne l'arnaque totale, le gros artifice d'une thérapie psychologique fondée sur la transe, le corps astral. Le guitariste Adam Jones peut même se targuer d'avoir "inventé" une philosophie : la Lacrymologie, dont le principe est le suivant : "le seul moyen pour un être humain de progresser et de se développer passe par l'exploration et la compréhension de sa douleur physique et de sa peine." Il faudrait prévenir le monsieur que des millénaires auparavant, cela se nommait la "catharsis" et que l'homme se purgeait de ses passions violentes, comme la terreur et la pitié, par la mise en scène d'événements inouïs provoquant ces émotions. 

Bon, derrière se gloubi-boulga métaphysico-philosophique, que penser de la musique ? 

J'ai découvert TOOL en 2009 à travers le dernier album 10000 Days. La piste "Vicarious" lancée et plusieurs choses attirent l'oreille :

-une tendance à la boucle et à la transe. Les structures se déclinent en spirales infernales destinées à perdre et hypnotiser l'auditeur.  L'effet répétitif camoufle des petits décalages, des rythmiques impaires subtilement asymétriques, ce qui peut expliquer la filiation au progressif que nous avons parfois prêtée à TOOL.

-un incroyable paradoxe de produire une musique à la fois calmante et "relaxante". Tool est l'un des rares groupes de metal "méditatif", capable de vous détendre. Un comble n'est-ce pas ?

-le timbre du chanteur est d'une incroyable sensibilité. Passant du murmure à la rage la plus écorchée avec une étonnante justesse d'expression, elle ne laissera pas de vous envoûter.

-un travail incroyable sur le son et la production. La voix est toujours en retrait, rendue brumeuse,captive d'un halo brumeux qui la rend lointaine et accentue son mystère. Le son de basse est purement extraordinaire, à la fois metallique, puissant et chaud, très enveloppant. Elle est fantastique sur l'album 10000 Days, leur dernier opus sorti en 2006. La batterie sait se faire tribale et se rapproche des consonances africaines ou orientales. Il n'est pas rare de s'imaginer des rites vaudous ou quelque mystérieux sacrifice en l'entendant. 

-les mélismes orientalisants du chanteur et les crescendos systématiques auront tôt fait de vous envoûter. 

Toute cette histoire d'introspection est peut-être du flan, une mythologie fabriquée de toutes pièces, il n'en demeure pas moins que, lorsqu'on se laisse avoir (et toute oeuvre ne marche que si l'on veut bien se faire avoir), on suspend volontiers notre incrédulité pour glisser dans l'halo sombre de cette musique unique, sombre, torturée. 

Cette sophistication, cette dimension "thérapeutique"et "méditative" ne s'est élaborée qu'au fil des albums. Et, bon sang, lorsqu'on baisse sa garde, cela fait mal. Le pouvoir hypnotique de TOOL ne vous lâche plus. L'intellect et la partie rationnelle du cerveau déconnecte et la musique s'immisce tranquillement dans les replis de l'inconscient, pour ne plus le quitter.

Définitivement un groupe à part, sur le fil de l'esbroufe totale et de l'envoûtement délicieux. Choisissez votre camp. 

P.S. : le nom du groupe est également inscrit dans la quête philosophico-psychologico-métaphysique : la musique est un outil accompagnant votre théropie lacrymologique. 

TOOL - Disposition (HD) Album Lateralus (2001)

Tool - Right in Two (HQ) 

Album 10000 Days (2006)

 

En voilà assez sur le quatuor californien qui met ses fans à rude épreuve (un album tous les cinq ans et silence radio depuis 2006).

A bientôt chers internautes ! 

 

 

 

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31 juillet 2014

To go deep into the pain : deux albums coup de coeur

 

Chers internautes !

   C'est à une véritable résurrection du site que vous assistez en direct. Milesahead renaît de ses cendres pour rassembler les brebis embourbées au sein du marasme de l'industrie musicale et les en extirper pour les exposer à la lumière de sa science toute-puissante...Bon, trève de plaisanteries, je suis là pour parler musique, et avec humilité, s'il vous plaît !

   Rappelez-vous : je vous avais laissé, il y a presque deux ans de cela (je suis sûr que vous êtes encore tout éblouis par l'expertise de ces pages qui ont dû vous marquer à jamais), en plein coeur de la description d'un de mes groupes de metal fétiches, j'ai nommé Pain of Salvation. Et aujourd'hui, j'ai décidé de vous offrir en vitrine "coup de coeur" mes deux albums préférés (même si, entre nous, tous les albums sont bons), j'ai nommé Remedy Lane (à obligatoirement coupler, au moins une fois, avec une écoute de The Perfect Element qui en est un parfait jumeau) et One Hour By The Concrete Lake (que je hisse fièrement à la première place de mon podium personnel).

I- Remedy Lane (2002)

 

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   Remedy Lane est le quatrième album du groupe suédois. C'est aussi le dernier de la période dite "metal progressif pur" du groupe. Par la suite la bande à Daniel prendra des sentiers un peu moins balisés. Pour beaucoup d'esprits chagrins (dont je ne fais pas partie), il s'agit surtout du dernier bon album de la formation.

   Comme la pochette le dit assez clairement (elle a été réalisée par les mimines de "l'homme-à-tout-faire-obsédé-par-la-maîtrise-totale-de-son-oeuvre" Daniel Gildenlöw "himself", ce qu'on peut ou pas, au vu du résultat, regretter...), l'album parlera des relations de couple homme-femme avec toutes les pistes émotionnelles que cela implique, comme les souffrances, déchirures et autres tortures psychologiques (quoi, il y a du positif dans les rapports amoureux ?)... Vous l'aurez compris, il s'agit-là d'un "concept album" comme on l'aime chez les progueux. Alors, qu'est-ce que c'est, un "concept album" ? Pour faire simple, il s'agit d'un disque qui est construit autour d'un thème central et tous les morceaux du disque gravitent de manière plus ou moins étroites autour de ce thème.

   Ainsi, les chansons déroulent plusieurs étapes d'une vie de couple et les tensions et questionnements existentiels que cette vie engendre. Toutes sont aussi joyeuses les unes que les autres : ainsi, dans "Second Love", comme son nom l'indique, le chanteur se lance dans une longue complainte sur l'impossibilité d'aimer à nouveau à l'issue d'une douloureuse rupture, tandis que "A Trace of Blood" relate les supplices d'un couple confronté à la fausse couche de l'épouse et au fantôme de leur enfant "mort né". Néanmoins, "Waking Every God" et "Heart of mine" égaient un peu le tableau. La seconde chanson, très touchante, raconte, de manière un peu naïve, le renouvellement des promesses de l'amant : chérir sa bien aimée jusqu'à la fin de ses jours (avec l'ombre laissée par la seconde partie où l'amoureux affirme qu'il "croit" son coeur et son esprit. Le doute plane alors... tout ceci n'est-il qu'illusion ?). "Waking every God", hymne quant à lui un peu puéril, narre l'envie du jeune homme de se changer en Hercule pour sa douce, et regrette de n'être limité que par sa fragile humanité.

   Sur le plan musical, nous avons affaire à un son musclé, typique du metal progressif. Les guitares sont agressives, les rythmiques pesantes. La voix du chanteur est plus versatile que jamais, toujours aussi douée pour faire passer les diverses émotions du personnage qu'il incarne. Je vous conseille vivement une écoute intégrale du disque sans interruption pour prendre pleinement la mesure du travail de composition. Ainsi, si chaque chanson peut parfaitement être prise isolément, M. Gildenlöw a bien pris soin de parsemer des motifs musicaux sur l'ensemble de l'oeuvre, ce qui témoigne bien de l'idée d'une architecture d'ensemble dans l'esprit du géniteur suédois. Rassurez-vous, je ne fais pas de l'album un opéra, et ne transforme pas les lignes mélodiques migrantes du disque en leitmotiv wagnériens, il s'en faut. Toutefois, ce procédé est suffisamment rare pour être souligné dans le milieu du metal, et illustre une ingéniosité peu commune.

   Voici un exemple parmi d'autres :

Chain Sling - Pain of Salvation

Pain Of Salvation - Beyond The Pale

   Allez, qui sera assez fin pour identifer le motif repris ?

   Petit mot sur "Beyond the Pale". Cette chanson résume bien les réflexions gildenlöwiennes (quel néologisme affreux) sur la gestion humaine des pulsions. Il s'agit bien sûr ici de la pulsion sexuelle qui condamne le personnage à l'insatisfaction (et toc, voici l'oeuvre de Houellebecq résumée en une dizaine de minutes avec plus de profondeur dans le propos). C'est également ce morceau de clôture qui contient la fameuse phrase "we will always be much more human than we wish to be" dont l'ambivalence n'est pas à prendre à la légère : l'homme sera-t-il toujours décevant et monstrueux ou l'humanité de l'homme restera-t-elle une torche entêtée dans le chaos de l'histoire, défiant tous les souffles et toutes les bourrasques ?

 

II-One Hour By The Concrete Lake (1998)

1998

 Voici mon album préféré ! Pour moi, il s'agit du disque le plus intéressant tant au niveau de sa thématique que de sa musique. Et oui, entre intellos on se comprend, et Daniel s'avère un chercheur avisé qui eût pu s'affirmer comme un universitaire de tout premier choix, si l'on en croit l'abondante bibliographie qui a concouru a l'élaboration des textes de cet opus. Voici le premier album de metal écologique qui critique l'industrialisation mondiale de masse et les guerres absurdes et meurtrières. Le développement de l'armement est comparé à un Leviathan, une "machine" monstrueuse qui avale l'humanité et le sentiment. De plus, le disque évoque la boucle écoeurante de l'histoire, où le pélerin de la sagesse sort de l'étude d'une catastrophe pour tomber dans une autre, identique à la précédente en manière d'absurdité et de folie (pensons au néo-totalitarisme de Poutine...). 

   Sur le plan musical, le dique présente l'une des plus belles balades du groupe, "Pilgrim", chanson bouleversante qui traite de l'ambivalence de la quête de connaissance : la recherche apporte la sagesse mais aussi des aberrations (la bombe atomique, indirectement évoquée), l'apprentissage va de pair avec la chute des certitudes et l'émergence d'un doute radical etc.

   Bon, je me mets à lourdement philosopher... Finissons plutôt sur une anecdote amusante... Devinerez-vous le temps que dure le disque ? (tout est dans le titre...) . Pour y arriver, Daniel n'a pas hésité à faire tourner les bandes pendant près de dix minutes pour atteindre cette durée. A vous de combler ces longues minutes de silence...

 

 

 

Allez, petite video pour finir, je vous présente "Pilgrim". Puissiez-vous suivre ses traces !

Pain Of Salvation Pilgrim

    Mes messages sont toujours aussi prolixes mais le fil rouge demeure le même : une passion indéfectible, mes chers internautes !

Musicalement vôtre.

12 novembre 2012

Premiers dans le metal, coup de coeur au carré : Pain of Salvation, Opeth, Iron Maiden, Tool

   Bonsoir, chers internautes !

   Ce soir, je vais évoquer les premiers pas que j'ai fait dans le monde du metal et mes groupes "coup de coeur" dans l'ordre chronologique de mes découvertes. Après un petit paragraphe préalable sur Dream Theater, je vais donc parler des groupes suivants : Pain of Salvation, Opeth, Iron Maiden, Tool

Pain+of+SalvationPain of Salvation (le line up mythique, qui n'est plus le même aujourd'hui)

De gauche à droite: Johan Langell (batterie), Fredrik Hermansson (claviers), Kristoffer Gildenlöw (basse), Johan Hallgren (guitare), Daniel Gildenlöw (chant hallucinant, guitare)

 

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De gauche à droite : Janick Gers (guitare), Steve Harris (basse), Bruce Dickinson (chant), Adrian Smith (guitare), Nicko McBrain (batterie), Dave Murray (guitare) ; trois guitaristes !!!

 

Tool+band10k041Tool

De gauche à droite et de haut en bas : Justin Chancellor (basse énooorme sur "10000 Days")), Maynard James Keenan / MJK pour les intimes (comme moi) (chant génial et sinueux), Danny Carey (batterie énoooooorme sur "Lateralus"), Adam Jones (guitare)

 

dream-theaterDream Theater

De gauche à droite : James LaBrèl... euh LaBrie (chant maniéré), John Petrucci (guitare virtuose), Jordan Rudess (claviers "bontempi"), John Myung (basse), Mike Portnoy (remplacé récemment par Mike Mangini) (batterie à huit bras)

 

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De gauche à droite : Peter Lindgren (guitare romantique), Martin Mendez (basse tellurique), Mikael Akerfeldt (guitare, chant schizophrène), Martin Lopez (batterie), Per Wiberg (claviers)



I Dream Theater

    Tous ceux qui me connaissent savent le rapport particulier que j'entretiens avec ce groupe. Dream Theater est le groupe par lequel je suis entré dans le metal. Je ne savais pas que je tombais-là sur le fer de lance de la scène progressive, un groupe qui laisse songeur... dans tous les sens du terme. Tout d'abord, je prenais connaissance d'un combo capable de produire des morceaux de plus de vingt minutes, ce qui n'a pas manqué de m'impressionner. Ensuite, je suis resté bouche-bée par la performance technique des sections instrumentales, proprement bluffante. Seule la voix m'a rapidement fait tiquer, peu adaptée, à mon goût, à une musique metal. Le pauvre James s'égosille dans les aigus et en fait trop dans les ballades, leur donnant une saveur sucrée et affectée parfois gênante. 

   Dream Theater est le groupe qui initia le "metal progressif". Alors, qu'est-ce que cela veut dire ? En fait, il vaut mieux partir du rock progressif et expliquer le style qui nous occupe par un durcissement de ses bases. En clair, le metal prog (on utilise souvent cette abréviation dans le milieuu), c'est du rock progressif plus musclé. Du coup, on retrouve toutes les caractéristiques du rock prog de la période dorée, les 70', dont les représentants les plus fameux (mais pas forcément les meilleurs à mon goût) sont Pink Floyd, Genesis (aujourd'hui sous la coupe du célèbre chanteur-batteur Phil Collins) et Yes : des morceaux longs (ou pièces dites épiques de plus de vingt minutes) et pluri-sectionnels (en fait, un morceau regroupe plusieurs chansons plus ou moins distinctes les unes les autres, l'intro et l'outro se répondant pour donner à l'ensemble une cohérence globale parfois artificielle), une virtuosité instrumentale souvent impressionnante ainsi qu'un certain penchant pour les soli (c'est ce qui rapproche le plus le rock prog du jazz) ; ajoutons encore à cela (quelle phrase indigeste ! Elle représente bien les travers du rock prog et de Dream Theater en particulier) le goût (plus ou moins prononcé selon les groupes) de l'expérimentation.

   En fait, le terme de progressif vient de l'idée, dont les germes parurent après 68', que la musique pop pouvait "progresser" vers plus de complexité en termes d'expérimentation, de composition et d'exécution. Je déteste ce terme de "prog", aux forts relents hegeliens, mais l'histoire l'a voulu ainsi, et un certain nombres de groupes étiquetés "prog" me passionnent, donc...

(Pour expliquer la présence de Hegel, je vous renvoie à l'Esthétique, dans laquelle le philosophe analyse l'art sous un angle historique et... "progressiste"; de son point de vue la poésie serait le meilleur art car c'est le plus proche de l'Esprit. Entendez par là que l'architecture, la musique, la peinture sont obsolètes puisqu'ils ne reflètent qu'imparfaitement l'Esprit (glups...). Evidemment, Hegel conclut brillamment en disant que tout ceci doit aboutir à la philosophie, l'incarnation la plus parfaite des Idées ; l'art n'a plus aucune utilité...mais je m'égare...)

    Revenons à notre groupe. En 1992 déboule Images and Words dans les bacs et le metal progressif trouve son chef de file, sortant le genre moribond du prog de l'ornière alors qu'explose le grunge de Nirvana. Dès la pochette, on sent la volonté de Dream Theater d'assumer l'imagerie des groupes de prog des 70'. Comparons la pochette d'Images and Words à la pochette de Foxtrot du groupe Genesis :

 

imagesImages and Words (1992)

 

FoxtrotFoxtrot (1972)


    Ensuite, le groupe ratisse large dans les 70' pour puiser ses influences (souvent voyantes) allant de Pink Floyd à Yes (cela va d'ailleurs jusqu'à enregistrer des albums hommages complètement inutiles et parfois désastreux comme Dark Side of The Moon le célèbre album des "flamants roses" de 1973):

imagesDream Theater (2011)

poster_pink_floyd_dark_side_of_the_moonPink Floyd (1973)

 

    
Plus récemment, le groupe rendait expressément hommage à Metallica (groupe que je n'apprécie guère, je m'excuse auprès des fans) dans l'album Train of Thoughts (2003) et Muse dans le titre "Panic Attack" de Octavarium.

train-of-thought-20032Train of Thought (2003)

2898-1788x1793Octavarium (2005)

    Bien, passons au crible les qualités et les points fâcheux du groupe:


-Points positifs:   -Une grande technicité. Il faut bien avouer que tenir des concerts de trois heures sans faiblir et jouer la moindre fausse note tient de l'exploit. LaBrie peut profiter des joutes instrumentales entre guitares et claviers (préparez-vous à être assommés par des déluges de notes) pour se reposer et ne pas trop s'étangler sur les aigus. Bref, le groupe est d'un perfectionnisme sans faille et est un monstre de technique pour soutenir ses longues compositions labyrinthiques à tiroirs.

                         -Une grande passion. Il est clair que le groupe aime son métier et reste fidèle à ce qu'il aime depuis le début de sa carrière. Sa généreuse discographique est riche en lives pantagruéliques pour soutenir une horde de fans affamés de plus en plus dense.

                         -Ses pochettes (qui ont séduit un ami au point qu'il s'en achète un album. A son grand dam...)


-Point négatif:   -Le manque de musicalité et de liant dans la composition. Ces mecs (je suis désolé de la dire) ne savent pas composer. Les chansons, rhapsodiques, n'ont pas de construction dramatique et toutes les sections sont mises sur le même plan. Les parties et les ambiances sont certes variées mais l'ensemble manque cruellement de dynamiques. Les passages jouissifs (il y en a, soyons de bonne foi) sont noyés par des démonstrations masturbatoires stériles qui manquent cruellement de "feeling" ! Du coup, on se fait ch... s'ennuie. 

     Dès lors, je déteste ce groupe autant que j'ai pu naïvement l'admirer autrefois (cela ne fait que quelques années mais j'ai honte de m'être laissé berner et d'avoir aimé cette musique pour de faux critères) pour ses prouesses techniques. Mais Thibault m'a aiguillé vers un autre groupe plus intéressant à mes yeux. Un copain à lui lui aurait parlé d'une certaine Pain of Salvation, susceptible d'attirer les amateurs de Dream Theater. Encore sous le joug de cette musique robo(u)rative, je tente ma chance. Je tombe à la fnac de Toulouse sur l'album A Perfect Element et là... le choc.

 

II-Pain of Salvation

  Bon, là je vais tout simplement parler d'un groupe de metal qui est resté mon préféré pendant de longues années (je n'en suis plus si sûr aujourd'hui) même si je sais qu'avec un nom pareil, ça part mal. On aurait tôt fait de cataloguer cette formation parmi les groupes qui encensent bêtement la souffrance et la violence, avec une imagerie religieuse de pacotille, bien kitch. Or, il faudrait plutôt y voir une connotation chrétienne (je fais peut-être là une pub encore plus désastreuse au groupe mais tant pis je continue) dans le traitement de la faiblesse humaine. Pain of Salvation parle toujours d'expériences au cours desquelles l'homme est confronté à ses propres limites, où il a du mal à porter la croix, le fardeau d'épreuves difficiles. C'est cet aveu d'impuissance qui me touche le plus dans la musique du groupe suédois. En quelque sorte, cette dernière illustre la phrase de Pascal "Misère de l'homme sans Dieu". Sauf que chez Daniel Gildenlöw, Dieu est loin, voire absent. L'homme est seul face à la violence d'un monde absurde et cru. La seule chose palpable, visible, vécue, est la souffrance.

   "Mais quand nous parlera-t-il enfin de musique et cessera-t-il ses délires métaphysiques?" vous entends-je déjà dire. En fait, je suis en plein dans mon sujet... Pain of Salvation se démarque déjà de la concurrence de par la gravité de ses textes, sans lesquels nous perdons une (bonne) partie de l'intérêt du travail fourni par le groupe. Daniel Gildenlöw a saisi sa "plume de fer" pour disséquer les tourments les plus sombres, les plus torturés (donc les plus intimes) de l'âme humaine. Avec une indéfectible passion. Avec une implacable lucidité. Daniel Gildenlöw a écrit l'une des plus belles phrases que j'aie pu lire dans une chanson : "we will always be so much more human than we wish to be" (nous serons toujours beaucoup plus humain que nous ne le voudrions). Cette phrase a longtemps poursuivi l'homme en quête d'idéal et d'absolu que je suis. Elle sonne comme un constant garde-fou personnel : mes désirs seront toujours limités par l'humanité de ma nature. Notre Suédois traite d'autres sujets, mais l'âme humaine et ses tensions, ses contradictions, reste son terrain de prédilection. Voici un texte que j'aime beaucoup, celui de "Road Salt", accompagné de sa musique:

Road Salt                         Route salée

This time I'll try not to get hurt      Cette fois je ne me blesserai pas

This time I'll stay untouched by pain and dirt    Cette fois la poussière et la douleur ne m'atteindront pas

This I'll stick to what I've learned      Cette fois je m'en tiendrai à ce que j'ai appris

This time I'll fly so low I won't get burned    Cette fois je planerai si bas que je ne me brûlerai point les ailes

Chorus: But maybe it's not enough         Mais ce n'est peut-être pas suffisant

            Maybe this time it's just too much    Cette fois, c'est peut-être trop

            Maybe I'm not that tough        Peut-être que je ne suis pas si fort

            Maybe this time the road is just too rough    Peut-être que le chemin est trop dur à arpenter

            To walk down

             So I sit down    Alors je m'assieds

I've walked this road so many years           Tant d'années, j'ai suivi cette route

I've worn down all my boots, I've cried all tears   Mes chaussures sont hors d'usage, je n'ai plus de larmes

So many crossroads left behind            J'ai franchi tant de carrefours

So many choices burned into my mind          Tant de choix sont partis en fumée dans mon esprit

Chorus (voir ci dessus) +

                 The road is just too rough    Peut-être la route qui me conduit vers chez moi est-elle trop dure

                 To take me home  

                 But I walk on...   Mais je tiens bon, et marche...       (Daniel Gildenlöw)

 

   Alors, quid de la musique ? Il s'agit, comme pour Dream Theater, de metal progressif, sauf que c'est le plan émotionnel, et non technique, qui, chez eux, est mis en avant. Et pour cause, Daniel Gildenlöw dispose d'une voix extrêmement expressive et belle qui, personnellement, me touche beaucoup. Certes, elle aura ses détracteurs : trop théâtrale, affectée pour certainS. Moi, je ne peux m'empêcher de croire à tout ce qu'il me dit, je suis frappé par sa rage, je suis ému par sa colère, entraîné par sa fougue (non, je ne suis pas amoureux de Daniel Gildenlöw, seulement de sa voix). C'est simple, en termes de force expressive, je le mets sur le même plan que Jeff Buckley (ce qui n'est pas peu dire). Du coup, elle relègue un peu au second plan la performance instrumentale, qui n'est pas en reste. Les mesures rythmiques restent complexes, les solis de guitares demandent dextérité et "feeling", les compositions à tiroir (mais davantage maîtrisées que chez Dream Theater, d'ailleurs aucun morceau ne fera braucoup plus de dix minutes) sont parfois surprenantes et tortueuses ; on est quand même dans du prog, le niveau technique se doit d'être à la hauteur !

   Plus encore, la musique de Pain of Salvation peut se targuer d'être assez unique, et si une cohorte de groupes suivent la voie boulevardesque de Dream Theater (souvent encore plus mal que lui, c'est dire), peu s'aventurent sur les pentes escarpées du quintet suédois. Il faut dire qu'au jeu des influences, il y en a une que l'on vient rarement chercher (et qui témoigne d'un certain bon goût) : Faith No More, un groupe de metal fusion emmené par le charismatique et complètement timbré (doux euphémisme) Mike Patton. On peut faire un parallèle avec Daniel Gildenlöw sur le chant un peu rappé et la "versatilité" vocale (même si à ce jeu-là, il faut le dire, Mike va encore bien plus loin) et le terreau parfois funk et jazz est commun aux de groupes à certains moments. Et si vous jouiez aux sept différences avec ces deux morceaux ?

 Lien youtube pour "Diffidentia" de Pain of Salvation : http://www.youtube.com/watch?v=WvmlvhyAX2o

 

Dream Theater plane sur les débuts du groupe mais son influence tend peu à peu à s'effacer (heureusement ?). C'est à peu près tout, car au sortir des jeux de comparaison, Pain of Salvation s'impose par sa singularité. De plus, nos Suédois changent considérablement de style entre chaque album, ce qui n'est pas pour me déplaire, car musicalement, cela marche plutôt bien. Ainsi, entre le premier et le dernier album, la musique s'est considérablement simplifié dans ses structures et son instrumentation pour se concentrer sur ce qui fait la force du groupe : une aura émotionnelle intense, dont la voix de Daniel Gildenlöw est indéniablement le meilleur vecteur. Vous jugerez par vous-mêmes en comparant ces deux extraits :

Pain of Salvation, "People Passing By" de l'album Entropia (1997) :  http://www.youtube.com/watch?v=f47atyeCmrE

Pain of Salvation, "Healing Now" de l'album Road Salt II (2011) :   http://www.youtube.com/watch?v=s0X23P9Vq1o

   Voilà, je crois que vous aurez assez à lire, à écouter et à voir pour cette fois (burp...), mais je ne vous quitte pas avec ce groupe que j'adore ! Je vous décortique deux albums la prochaine fois !

A bientôt chers internautes !

 

 

 

3 novembre 2012

Iron Man: voyage dans les contrées rockeuses, metalliques et progressives

   Bonjour à tous chers internautes !

   Je pense passer un certain temps dans des domaines musicaux qui m'étaient alors complètement inconnus il y a moins de cinq ans : le metal, le rock, le progressif. Du rock, il en passe toujours plus ou moins dans nos oreilles, qu'on le veuille ou non : dans les métros, les cafés, les restaurants, dans certaines rues... surtout dans la forme batarde, parfois heureuse, parfois nauséeuse, du "pop-rock", étiquette fourre-tout dans laquelle on trouve des groupes très divers comme U2 ou Pink Floyd, ou... Tom Waits ou... Frank Zappa ; bref des groupes qui n'ont rien à voir, du plus radiophonique au plus hermétique. Tout cela pour dire qu'il faut se méfier des classifications hatives qui camouflent la véritable singularité des artistes, et que je me fais moi-même avoir plus d'une fois.

   Justement, venons-en au metal. Eh bien, j'ai condamné ce genre pendant des années sans vraiment le connaître : trop violent, trop primaire, me disais-je. Les gars passent leur temps à geuler sur fond de guitares sursaturées et de percussions métronomiques hachant le temps à la microseconde près. Ils ne jouent pas plus de deux ou trois accords et déblitèrent des paroles débiles et violentes traitant de satan, de chavaliers héroïques, d'éviscérations et d'étêtages en tous genres. Certains noms de groupes font rêver: "BloodBath" ("bain de sang"), "Decapitated" (transparent...), ou encore "Iron Maiden" ("vierge de fer", un magnifique instrument de torture qui prenait la forme d'un cercueil tapissé, sur sa paroi interne, de piquants qui étreignaient amoureusement le malheureux condamné contraint de s'y introduire), la palme revenant à "Dying Fetus" (je vous fais grâce de la traduction, c'est le titre le plus grotesque et écoeurant que j'ai pu trouver). Voici la charmante musique du dernier nommé, qui contient, avec la plus grande subtilité, tous les clichés que j'ai recensés concernant la musique "metal":

  Clip malsain (ou ridicule), "voix" monstrueuse, musique bourrine (doux euphémisme), 100 % technique (ça va viiiiiiiiiite), 100 % barbante. Quand à la violence attendue, on repassera. 

   Ce groupe n'a rien pour (me) plaire, et ne va certainement pas contredire les clichés que je me fais(ais) concernant cette musique. Néanmoins, il faut peut-être croire au destin, et le fait que mes cheveux poussaient de plus en plus (l'ombre de Kurt Cobain planait sur ma silhouette, le talent en moins) devait peut-être m'amener à balayer mes a priori d'un revers de main. Le destin prit donc la forme de Thibault, un jeune garçon très gentil qui me fit découvrir le metal. Tout d'abord, je compris que le metal était un genre assez ancien et qu'il recouvrait (tout comme le pop-rock) une multitude de styles. Nommons-en quelques-uns, pour le plaisir, car les sous-catégories deviennent tellement précises qu'elles en deviennent risibles (et attention, malheureux, à ne pas ranger le groupe préféré d'un fan sous la mauvaise bannière, il vous traiterait de "gay" sur-le-champ) : heavy metal ("metal lourd"), glam metal (ou metal kitch), speed metal ("ça va viiiiiiiiiiiiiite" et c'est bon !"), thrash metal (et non "trash", les fans de Metallica, pionniers du genres, vous étriperaient aussitôt, mais l'idée est là : "on va va plus vite et on est plus violent YEEEEEEEEEEAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHRRRRRRGGGGGGLLLLLL"), metal melodique ou symhonique ("le mariage langoureux et electrisant des cordes frottées, pincées et grattées, les vents étant souvent absents"), doom metal ("ambiance sombre et dépressive"). La palme de la différence la plus subtile (et la plus drôle) revenant ou couple death/black metal. Dans les deux cas, la musique est sombre et violente, la voix est gutturale et non chantée (on pousse des grognements, des "growls" dans le jargon), mais, et c'est très important... la voix gutturale est dans les aigus dans le black metal, dans les graves dans le death metal. Et... c'est la seule différence.

  Du coup, vous pouvez deviner le sous-genre auquel appartient Dying Fetus ? Le gagnant abtiendra toute la discographie du groupe (il faut dire qu'entre les différents opus, on note de grandes différences. Quelle variété dans les ambiances et les arrangements).

  En fait, tous ces sous-genres (j'oublie encore le sludge, le hardcore/post hardcore et le metal progressif) s'ordonnent et s'expliquent très bien si on les range selon une perspective historique. Ces étiquettes, au premier abord, viennent de la propension de la musique rock à devenir de plus en plus violente. Du rock, on passe au hard rock, puis au metal, puis au heavy metal, puis au thrash metal, puis au death et au black metal, puis au hardcore puis au post hardcore etc. Il fallait donc bien, au fur et à mesure, inventer de nouveaux noms. Il est, à ce titre, très amusant de relativiser la notion de musique extrême et violente selon les époques. Ainsi, Deep Purple, Black Sabbath et Led Zeppelin étaient considérés comme des groupes très violents au début des années 70'. De même, Iron Maiden, champion du heavy metal, était considéré comme un groupe sulfureux, extrême et sataniste au début des années 80. Aujourd'hui, ces musiques paraissent sympathiques, énergisantes, un brin kitch, mais certainement pas extrêmes au regard d'un groupe comme Neurosis qui lança la vague post-hardcore dix ans plus tard, autrement plus musclée (ou... "burnée" si on emploie un terme du jargon. Oui, on est en plein dans le virilisme primaire, le machisme, la sueur et la bière dans certains aspects de cette musique).

Voici quelques extraits de ces groupes, aujourd'hui légendaires (Neurosis mis à part, même si le groupe est déjà culte).

  Extrait live de 1972, l'année du grandiose "Live in Japan". Tout y est, lyrisme puissant, improvisation échevelée et grandiloquence. Un grand moment de hard rock.

   Eddie, la mascotte d'Iron Maiden, plus forte que le diable ! BRRRRRRR.... terrifiant. En 1982, l'album fait l'effet d'une bombe. Voici un groupe terriblement violent... il est vrai que la pochette de l'album, très sombre et très réaliste, fait frémir...

  

   Le post-hardcore en force. En 1999, avec "Times of Grace", le groupe frappe fort et fait passer Metallica et Iron Maiden pour des bisounours... Mais pourquoi sont-ils si méchants ?

  
    Au côté de cette catabase dans les abysses de la noirceur et de la sauvagerie, d'autres groupes ont voulu "adoucir" (bande de "gays") le metal en travaillant sa pente mélodique. Cela donne une musique moins agressive, plus lyrique, plus théâtrale pour le meilleur... plus kitch ou grandiloquente pour le pire. Le metal symphonique et melodique se trouve des héros auprès de Nightwish et Apocalyptica (ou comment faire du metal avec du violoncelle) et le metal progressif, dans le sillage de Dream Theater (je reviendrai sur le statut de ce groupe spécial pour moi), mêle puissance, complexité et sens mélodique.

 Nightwish en 1998, l'époque d'Oceanborn et de la chanteuse Tarja (regrettée par certains).

 

Dream Theater, extrait du DVD Score paru en 2006. Un groupe qui ne cessera de me poser problème... Très bons techniciens, des passages jouissifs, mais... c'est parfois long, et le chanteur...
 
  Voilà en gros comment expliquer les diverses mouvances du mouvement metal (en allant très vite et en simplifiant beaucoup... je suis loin d'être un spécialiste).
   J'espère que cela vous a intéressés. La prochaine fois, je m'attaquerai aux groupes de metal qui m'ont marqué (en bien et en mal).
A bientôt les internautes !
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20 août 2012

"A sick kind of blue" : le testament

    Décidément, les Alsaciens sont coriaces ! Voilà encore une rétrospective qui n'en finit pas !

   Passé L'Imprudence, Bashung n'est décidément plus à court d'idées étranges ! En effet, notre homme décide de chanter, pour son mariage avec sa douce (et fort bien pourvue) Chloé Mons, rien d'autre que le parangon de la poésie sensuelle sacrée, j'ai nommé le Cantique des cantiques.

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Il enregistre, paraît-il, le disque pendant sa cérémonie de mariage et entame un dialogue troublant avec son épouse sur une traduction du texte sacré effectuée par Olivier Cadiot. C'est Rodolphe Burger (déjà l'auteur de l'aride "Samuel Hall" dans Fantaisie Militaire) qui a la charge de l'accompagnement musical, complètement à l'encontre de ce que l'on pourrait attendre. D'ailleurs, toute l'adaptation en elle-même déconcerte. Interprétation minimale du texte, accompagnement dépouillé à base de tournerie électronique new age... Et pourtant ça marche ! La troublante sensualité du texte se trouve magnifiée par ce chiche habillage (peut-être pour mieux effeuiller le texte, l'art de l'effeuillage étant au coeur de l'érotisme) et la voix de Bashung fait encore des merveilles (celle de sa chère et tendre, bien qu'agréable, ne sera pas aussi envoûtante). Je concède que, n'eût été la beauté du poème, je n'aurais pas été jusqu'au bout de l'écoute car le procédé trouve quand même ses limites. 27 minutes sur une musique qui n'évolue que très peu, cela peut lasser ! Mais je vous laisse vous faire vous faire votre propre opinion :

http://www.youtube.com/watch?v=jI1p4lC0ATw

 

Bleu Pétrole (2008)

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  Un certain nombre d'années se passe sans que le rockeur ne laisse une quelconque nouvelle phonographique. Notre homme veut sans doute profiter de la vie avec sa nouvelle compagne et on le comprendra volontiers. D'ailleurs, L'Imprudence aurait très bien pu être son dernier album sans que celui-ci n'eût eu à rougir de sa carrière. Mais c'est un homme apaisé que l'on retrouvera en 2008, grave, mélancolique, mais détendu. Bashung, cette fois, semble ne rien tant désirer que chanter, célébrer son public encore une fois. On sera étonné que le choix de l'Alsacien se porte cette fois sur Gaëtan Roussel, tant le leader de Louise Attaque se trouve bien loin des rivages sombres et torturés d'Alain. Néanmoins, le duo fonctionne bien, et le résultat est étonnamment fidèle à Bashung ; plus simple, plus serein certes, mais l'émotion reste intacte. La voix du chanteur peut sublimer n'importe quoi, et les compositions parfois un peu simples de M. Roussel prennent avec son timbre si particulier une profondeur ahurissante. Et puis...et puis il y a deux merveilles absolues, Vénus et Comme un légo, tous deux signés Gérard Manset. La première rejoint les chansons érotiques de Bashung (sans doute le sujet qu'il maîtrise le mieux) et atteint presque la fascinante aura de "Madame rêve" en plus apaisé (la sonorité du banjo y est sûrement pour beaucoup) et onirique. Quant à la seconde, elle est sans doute trop longue, et l'accompagnement trop simple pour tenir la distance. Et pourtant... dans le contexte, elle déchire le coeur, on a l'impression que le chanteur imagine sa propre mort, mais, à l'inverse de la catabase émouvante de Chateaubriand, Bashung prend son essor pour prendre l'envergure d'un oiseau triste et désolé, venu d'outretombe, qui contemple l'humanité de son petit coin d'au-delà. La voix, portée par un accent tragique rarement atteint, remue les tripes de l'auditeur (en tout cas les miennes), comme rarement. Il n'y a pas à dire, même s'il n'est pas parfait, l'album constitue un beau cadeau testamentaire de la part de l'Alsacien.

http://www.youtube.com/watch?v=zCo4VnoIHHw  "Comme un légo"

http://www.youtube.com/watch?v=YgmzwgdiV_o "Vénus"

 

 

16 août 2012

"What's in this bird ?" le crépuscule d'une idole

20080214180813_2008-02-17-bashung-alain-26-05-2007Bashung en 2007. On voit que par rapport à la photo du début de ma chronique, de l'eau a coulé sous les ponts. Toutefois, le poivre et sel de sa chevelure est-il dû à la vieillesse où aux lentes morsures de la maladie qui le rongeait alors et dont la cause se trouve à quelques centimètres de son visage ?


Bonjour, chers internautes ! Je poursuis sans tarder ma chronique.

   L'essai "country new age" de 1994 n'a pas été concluant, et le tube "Ma petite entreprise" n'a pas suffi à faire décoller les ventes d'album. Mais en 1998, Bashung frappera très fort avec ce que beaucoup considèrent comme son chef-d'oeuvre : Fantaisie Militaire.

II-Fantaisie militaire (1998)

fantaisiemilitairebashung

   La pochette de l'album a pourtant de quoi faire fuir ! Voir le chanteur faire la planche dans des eaux marécageuses n'est pas très engageant, encore moins si on considère cette raideur comme la marbrure du cadavre. Cette fois, le rockeur baigne littéralement dans ses névroses, plonge dans la matière même de sa folie. Je ne savais moi-même pas trop à quoi m'attendre en tombant nez à nez avec ce disque, avec la figure d'un artiste que je ne connaissais pas encore. En effet, cet album a d'abord été un cadeau pour ma mère. Quel choc ce fut à mes vierges oreilles de petit gamin de douze ans ! Je n'avais jamais entendu une telle voix, aussi chargée de mélancolie et de troublante solennité ! Jamais non plus je n'avais entendu de paroles si étranges ! Bien que leur sens m'échappât, j'étais frappé de la musique des vers et des jeux de mots en tous genres qui émaillaient les chansons... Bon je m'égare, vous n'êtes pas là pour subir les pauvres émois d'un mélomane prépubère.

   La musique ne poursuit pas le minimalisme technoïde et trouble de son prédécesseur mais en garde la noirceur générale, tout en diversifiant l'habillage sonore de poèmes toujours plus abscons et étranges. Ce disque-synthèse s'attache davantage à varier les ambiances et navigue entre rage ("Mes prisons", "Fantaisie militaire" qui font parler la distorsion), clarté ("Ode à la vie"), onirisme pur ("Dehors" ou "Aucun express") ou poignante mélancolie ("Angora", qui doit sûrement faire référence à ses problèmes pulmonaires). Plusieurs éléments peuvent néanmoins servir de fil rouge dans ce labyrinthe des émotions :

   -la voix (encore) : Bashung semble s'être décidé à chanter et à laisser tomber ce "sprechgesang" si particulier de l'opus précédent (sans abandonner son style récitatif. Point d'envolées opératiques ici, je vous rassure). Le poète reste dans les graves et donne une majesté inattendue à ses paroles. Beaucoup moins nasillarde qu'auparavant, elle se fait plus ronde. La profondeur des images et les résonances chariées par les textes s'en trouvent magnifiées.

   -L'instrumentation a sensiblement changé par rapport à l'opus précédent. Exit les relents de country mutante, la guitare brumeuse, errante ou les gimmicks technoïdes. Le son est beaucoup plus accoustique, laissant davantage parler la guitare sèche, et les nappes de synthé (presque'une première chez lui) sont très en retrait. Les violons sont également plus présents, et apportent une touche de lyrisme sans tomber dans le mielleux. Enfin, détail amusant, la plupart des morceaux déploient des motifs arabisants et des gammes orientales plutôt inédites chez Bashung. On pense à "2043", "Mes Prisons", "Au pavillon des lauriers" entre autres.

   Tous les morceaux valent le coup d'oreille et vous plongent dans un univers à part fascinant. Je vais m'intéresser à deux d'entre eux : "2043" et "Angora", que j'aime particulièrement. Le premier se repose avant tout sur une rythmique envoûtante à base de percussions tribales tandis qu'un clavier remâche en boucle un ostinato orientale qui met à l'honneur la seconde augmentée. Il conte une version hallucinée de la belle au bois dormant scandée par un oracle à moitié fou (" la réveillez pas, laissez-la, la réveillez pas, pas avant 2043"). La seconde, très dépouillée, repose sur un accompagnement minimimaliste, balance binaire entre la fondmentale et l'harmonie des accords. La voix, plaintive, semble évoquer les problèmes pulmonaires du chanteur de manière poignante ( "le souffle coupé, la gorge irritée, je m'époumonnais, sans broncher / Angora, montre-moi d'où vient la vie, où vont les vaisseaux maudits").
Voici les videos, correspondantes :

    Bon, "2043" ne semble pas disponible sur dailymotion (grrrrrrrr). Je passe donc au grand tube du disque, "La nuit je mens", qui raconte comment le narrateur a menti à sa femme, et peut-être à lui-même, un homme qui a vécu "à côté de ses bottes" (vous comprendrez en écoutant la chanson).

   Fantaisie militaire, emmené par la chanson sus-citée, est un carton, et Bashung reçoit une victoire de la musique pour cette oeuvre (je sais, cette institution n'est peut-être pas une référence mais bon). Cependant, notre homme n'aime guère les positions confortables, et aura "l'imprudence"(je sais c'est facile), alors qu'il est au sommet de sa popularité, de proposer l'album le plus sombre et le plus ambitieux de sa carrière...
III-L'Imprudence (2002)
 

Alain_Bashung-L_imprudence-Frontal


 
   Le voici, le diamant noir de Bashung, un album qui m'aura fortement marqué dans mes années lycée (aux côtés de... Miles Davis bien sûr, que je découvrais avec le coffret The Complete In a Silent Way Sessions et dont je pensais, naïvement, que je tenais l'oeuvre intégrale entre les mains ! J'étais loin du compte...). On a par la suite beaucoup comparé cette oeuvre à Ferré pour la noirceur désespérée qui s'en dégage, et qui contamine jusqu'à la pochette (avouez qu'on peut difficilement faire plus sinistre.) Ca y est, Bashung a achevé la plongée du disque précédent et se retrouve tout au fond, près à en découdre avec ses démons les plus enfouis. Il faut soigner le mal par le mal paraît-il... Alors, qu'est-ce que ça donne ?
   Musicalement, l'album est beaucoup plus homogène que le précédent, et se maintient dans une ambiance étouffante et crépusculaire. La percée des violons dans l'opus précédent se confirme et les cordes envahissent l'espace. Donnant l'impression d'un orchestre de chambre par l'adjonction de quelques vents timides, elles étendent une tonalité lyrique et tragique à tout le disque. Le piano se fait également plus présent et, une première pour un Bashung, la guitare n'occupe qu'un rôle très secondaire. L'harmonica du poète, toujours présent dans ses chansons, et qui distille habituellement un parfum de country vaguement nostalgique, devient ici un véritable chant du cygne, déchirant et plaintif.
   Il faut bien remplacer le chant de la voix par celle de l'instrument, puisqu'ici, Bashung se fait pleinement récitant, et se maintient dans le registre grave, voire d'outretombe. L'inflexion, très libre, de la voix, est pleinement au service du texte, laissant tout le travail musical et mélodique à la musique. Bashung est ici un acteur et un brillant interprète, mais plus un chanteur (ou si peu). Les textes visent encore parfois au-dessous de la ceinture (l'érotisme restera toujours au centre des préoccpupations de l'artiste) mais toute provocation à disparu pour laisser place à une noble tristesse, comme si, à l'instar de Mallarmé, Bashung comprenait que "la chair est triste". Ainsi, "Faites monter" semble fêter la vanité de la jouissance, "Mes bras" constatent l'inanité de l'étreinte amoureuse et la sentence de "Faisons envie", "faisons envie...jusqu'au dégoût"veut tout dire.
 
   Cela dit, tout est-il absolument noir, monochrome, dans ce disque ? Non, l'instrumentation promet quelques fulgurantes envolées lyriques et transportent l'auditeur vers une clarté aveuglante, comme une respiration avant d'affronter les ténèbres qui vont suivre. La plus incroyable est celle de "L'Irréel", un morceau qui part de manière on ne peut plus lugubre pour s'achever sur une parabole lumineuse et palpitante.
http://www.youtube.com/watch?v=v2FebJntBIA  "L'Irréel". La version concert est différente et le passage lyrique y est moins flagrant. Traquez la
 
version studio.
 
  
   Je termine tout de même par un morceau qui continue à me poser problème : "Le dimanche à Tchernobyl". Je ne comprends pas où Bashung a voulu en venir. S'il voulait mettre l'auditeur mal à l'aise, il a parfaitement réussi ! Voulait-il dénoncer de cette manière étrange la catastrophe de Tchernobyl ? Toujours est-il que le texte semble adopter le point de vue d'un irradié qui semble être fasciné par les effets secondaires de cette exposition : "tu m'irradieras encore longtemps, au delà des portes closes".Beau mais... dérangeant, ( et imprudent) pour le moins. Jugez plutôt :
   Pour conclure, je dirais que l'Alsacien a certainement produit l'un de ses meilleurs disques, et l'un des fleurons de la chanson française tout court. L'album, difficile d'accès, n'a pas fait l'unanimité, mais a gagné un succès d'estime certain auprès des critiques et des fans endurcis.
  Voilà, je suis un peu fatigué et conclurais la prochaine fois !
14 août 2012

Bashung II : du rockeur déglingué au poète désoeuvré

   

    Bonsoir chers internautes !

    Et voici la suite de ma chronique dédiée à ce drôle d'oiseau. Cette fois, nous allons couvrir la décennie des années 90' et 2000' qui sont à mon avis les meilleures de l'artiste. Elles sont en tout cas bien plus sombres et introspectives que les années 80'. L'humour décalé a pratiquement disparu ou se revêt d'une robe ébène plus épaisse que jamais (si c'était possible, le rire de Bashung étant toujours excessivement grinçant). Les jeux de mots sont toujours présents, mais pour alimenter les eaux troubles d'une poésie mystérieuse, noire, quasi hermétique. Le texte est au delà de la provocation et sonde les folies du chanteur de manière beaucoup plus frontale et froide. Le recours au sarcasme n'est plus possible, nous sommes plongé sans retour possible dans les abîmes torturés de l'inconscient d'Alain.

   Cette noirceur accrue est due à deux facteurs essentiels :

 -la voix tout d'abord, toujours plus ronde et grave, prenant à contrepied les glapissements rauques et nasillards des années précédentes. On n'ose en chercher la raison : l'abus d'alcool et de psychotropes ? son cancer du poumon qui se déclarera bientôt ^pour finalement l'emporter ?

 -les arrangements, qui abandonnent progressivement les sonorités kitchs de la cold/new wave pour se rabattre essentiellement sur une guitare brumeuse (on pense notamment à Marc Ribot, dont la sonorité concourt beaucoup à façonner la glèbe étrange de Chatterton)

   Peu de choses laissaient pourtant augurer cette lente descente dans les ténèbres de la psyché et surtout pas l'album Osez Joséphine, qui dévoilent l'inclination du chanteur pour la country du nouveau monde. Apaisé, ludique, le disque, ponctué de nombreuses reprises de chansons américaines (on pense notamment à "She belongs to me" de Bob Dylan) dégage une clarté solaire et paisible somme toute inhabituelle pour les habitués de l'artiste. Cette quiétude n'est sans doute pas pour rien dans le succès de ce disque, le plus vendu à ce jour.

49334600Osez Joséphine (1992) Pour les garçons pervers, (comme moi), notez que la charmante créature qui accompagne l'artiste est topless et exhibe (vous le dévouvrez dans le livret qui accompagne le disque) une bien jolie poitrine. Le tout, comme d'habitude chez Bashung, sans aucune vulgarité.

  L'album est surtout emmené par deux tubes incontestables : la plage-titre et son fameux groove "western" avec un duo batterie/guitare très efficace (ah! cette caisse claire en contretemps) et entraînant, et "Madame rêve", qui célèbre l'onanisme au féminin avec un érotisme troublant. La ligne de contrebasse en pizzicato arpégé et les brumeuses harmonies de violon n'y sont pas non plus pour rien. Quant au texte... il mérite sans doute sa place au panthéon de la littérature érotique française.

   Voici les clips de ces fameuses chansons (les images ne sont malheureusement âs à la hauteur de la musique) :

    Ce petit interlude ensoleillé ne laissait guère présager le triptyque bourbeux mais flamboyant qui allait suivre, trois chefs-d'oeuvres coup sur coup : Chatterton (1994) , Fantaisie Militaire (1998), et L'imprudence (2002). J'ai adoré chacun de ces trois disques pour différentes raisons, et je vais vous les exposer.
I-Chatterton
 

alain bashung chatterton

 

   C'est, du tryptique, l'album que j'ai découvert en dernier. Commençons par une anecdote amusante. Barclay, la maison de disques de Bashung, avait adoré Osez Joséphine pour son côté country et accessible, et qui contenait des tubes imparables, dont les deux chansons que j'ai évoquées ci-dessus. Or, lorsque les premiers titres "A perte de vue" et "Que n'ai-je" ont commencé à tourner sur la platine, Barclay a commencé à pâlir ; ces chansons étaient des ovnis absolument invendables et encore moins radiodiffusables. Il a fallu attendre "Ma petite entreprise" pour que le label pousse un soupir de soulagement. Et, de fait, la chanson devint le single qui exposa le disque sur les ondes radiophoniques.

   Or, cette chanson n'est pas du tout représentative de l'ambiance générale de Chatterton, mais bien les deux premiers titres qui ont fait se dresser les cheveux sur la tête à Barclay. Qu'avaient-ils de si effrayants, ces deux titres ? Tout simplement une coloration sombre et inquiétante, des boucles hypnotiques tracées par le manche de la guitare vénéneuse de Marc Ribot, et la voix de Bashung qui psalmodie plus qu'il ne chante. La rupture entre couplet et refrain a totalement disparu, laissant planer une atmosphère presque immobile tant elle est poisseuse et répétitive. La musique n'évolue pas beaucoup, mais prend le temps d'instiller son lancinant malaise dans les oreilles de l'auditeur. Dans le premier titre, la trompette blafarde de Stéphane Belmondo achève d'embrumer le paysage. La voix, elle, n'est plus trop en rythme ; difficile de de saisir une véritable mélodie, il n'y a que le texte, magnifié par la diction du chanteur. A ce titre, les premières paroles du premier disque reflètent bien l'ambiance générale de l'album, sombre et désespérée : "A perte de vue, des lacs gelés, qu'un jour j'ai juré d'enjamber [...] a perte de vue, du déjà vu, du déjà vécu, se précipite à mes trousses".Et en effet, les alentours sont froids, le temps est même glacial. Et la musique, ainsi que les magnifiques textes du tandem Bashung-Jean Fauque, ne cesseront de souffler cette bise ambiguë, coupante et lourde, non exempte de glissements de terrain.

   On comprend mieux, dès lors, à quel point "Ma petite entreprise" fait figure d'exception et peut tromper l'auditeur sur la marchandise. En voici le clip, que je vais enchaîner avec "A perte de vue", pour bien ressentir le contraste :

    Concluons la chronique de Chatterton par descitations qui m'ont particulièrement marqué :

"mes ombres s'échinent à me chercher des noises"  (J'passe pour une caravane)

"le plus clair de mon temps dans ma chambre noire"  (J'passe pour une caravane)

"donnez-moi de nouvelles données" (A perte de vue)

"Elvire, comment lui en vouloir, l'illusion est parfaite, ses ions ses touchantes attentions me criblent de rêveries véritables" (Elvire)

"mais saura-t-elle ce qu'j'éprouve à séjourner au sein d'un logiciel" (Elvire)

   Dernière remarque au sujet de cette chanson "Elvire" que je trouve très intéressante. On dirait que Bashung à pressenti le danger du virtuel qui est aussi adulé que le réel. Le personnage est envoûté par une fille virtuelle qu'il prend pour son grand amour. Il n'aime que des polygones mais elle n'y peut rien, "comment lui en vouloir". Bien sûr les paroles restent suffisamment sybillines pour que l'on pense ce que l'on veut, mais tout de même. Part contre, "Ma petite entreprise" est très claire : Bashung parle de sa "bite", c'est un gigolo qui palpe son épiderme (je vous laisse deviner à quel endroit) à plein temps. Et dire que cette chanson à servi de fonds pour la pub d'une agence qui aidait les entrepreneurs à se lancer ! A mourir de rire !

   Sur ce, je vous laisse. J'achèverai cette chronique une autre fois. Il se fait tard et je commence à m'aventurer dans des zones glissantes...

  

30 juin 2012

Bashung l'imprudent

 

  

alain_bashung_fume_en_1982Bashung en 1982, l'époque bénie de Play Blessures. Notre rocker déglingué s'est adjoint l'aide de Gainsbourg pour fouiller ses névroses au bistouri ; l'art de "remuer le couteau dans la plaie"

 

Bonjour chers internautes !

   Aujourd'hui, je vais parler de celui que je considère comme le plus grand artiste de la chanson française. Je sais, c'est très osé, les prétendants à ce titre sont nombreux : Jacques Brel, Georges Brassens, Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Barbara et j'en passe... Ce choix est donc purement subjectif. En fait, il a tout simplement réalisé trois des disques qui m'ont le plus bouleversé en chanson française : Chatterton, Fantaisie militaire et surtout l'incroyable L'Imprudence, qui est pour moi le meilleur album de l'artiste.

   Comme Miles Davis, Alain Bashung a constamment chassé la redite et peu de ses albums se ressemblent. Sauf que, contrairement à l'ange noir, le rocker a tracé son sillon sans vraiment se soucier des modes en vogue, et a surtout travaillé à rendre son son de plus en plus intime, singulier, impénétrable. Les jalons de cet univers :

  1. -une musique très variée, mariant une multitude d'influences dont le rock n'est qu'une balise parmi d'autres (on passe de la "new/cold wave sous acide" à la country/folk américaine et la musique classique)
  2. -une voix hors du commun, entre couinements rauques, dérapages contrôlés et incantation caverneuse. Elle n'est pas vraiment "agréable" mais possède un timbre immédiatement identifiable. Bashung est, avant d'être un chanteur, un interprète remarquable.
  3. -enfin, last but not least, des textes très poétiques, toujours travaillés, qu'ils soient chargés d'un érotisme violent, d'une obscénité cachée (bel oxymore) d'une mélancolie abstraite ou d'un surréalisme désespéré. La musique du texte a souvent plus d'importance que le sens de son contenu, et remue souvent des régions insoupçonnées de notre inconscient

  Bashung n'a connu le succés que très tard, en 1980, avec Gaby oh Gaby et Vertige de l'amour alors qu'il avait déjà trente-trois ans et pratiquement quinze ans de carrière. Il faut dire que le bonhomme est tiraillé entre l'envie de percer et le désir de trouver sa voie/voix personnelle. Passée cette accession à la lumière, Bashung s'est senti libre de faire ce qu'il voulait. Il est rassurant de voir qu'un artiste peut percer en musique sans faire la moindre concession à une musique vendeuse et commerciale !

   C'était pourtant loin d'être gagné, car la période près 80' avait bien du mal à dessiner la forte personnalité qui s'est exprimée après. Bashung chantait selon la mode de l'air du temps, sans être vraiment convaincant. Ses textes, bien que caustiques, n'avaient pas le trouble hermétisme de la suite. Néanmoins, les quelques traces discographiques qui restent ont le mérite de remettre les pendules à l'heure concernant la voix du chanteur : oui, le rocker sait chanter, la voix déglinguée et presque fausse qu'il adopte par la suite est un choix délibéré de sa part, et ne résulte pas d'une carence technique. Allez, un petit extrait pour illustrer tout cela :

   
   Après cette phase de tatonnements, le chanteur commence enfin à tracer les contours de son style à la fin de 1979 avec l'album Roulette Russe, qui contient le tube Bijou, Bijou. Cette chanson pose des bases importantes : le décalage entre l'ambiance de la chanson et un texte destabilisant, entre émotion et ironie grinçante. En effet, Bashung semble faire un éloge paradoxal de la femme qu'il quitte : "Putain, c'que t'as été belle, quand tu t'mettais à genoux !". Notons enfin, et cette phrase en donne un bel exemple, l'étonnante faculté qu'ont Bashung et ses paroliers (il coécrivait la plupart de ses textes, ses principaux collaborateurs étant Boris Bergman, Jean Fauque ou un certain... Serge Gainsbourg le temps d'un disque), notamment dans les 80', à allier l'obscénité et les allusions crues à une pulation érotique d'une élégance folle. En somme, c'est très osé, voire trash, sans jamais être vulgaire (ce que, à mon avis, Gainsbourg n'a pas toujours su éviter dans ses derniers disques, notamment dans Love on the beat.)
   S'ensuit dans les années 80' une période cold/new wave où Bashung utilise les sonorités froides et synthétiques avec brio pour créer un univers malsain et déglingué. C'est dans cette période que sa voix se fait la plus rauque, la plus désagréable, et que ses textes sont les plus ouvertement sexuels, sans jamais être bêtement provocateurs. Le chanteur fait véritablement dans le laid, et cherche le sale dans le son et la production, ce qui fait de lui un espèce de "sale gosse", incarnant le punk et le rock décadent à la française. Le disque le plus réussi,  à mon avis de cette période, est l'album Play Blessures.
Play Blessures (1982)

51106PSXJPL

mod_article28681984_2Et voici les deux play boy auteurs de ce maladif méfait discographique. La photo est très pertinente : ces deux là sont effectivement fous à lier !

   Ce disque est le seul témoignage d'une callaboration avérée avec Serge Gainsbourg, même si l'on sait que les deux hommes s'appréciaient beaucoup dans la vie. Entre (géniaux) névrosés, on se comprend. Quand on sait que les deux compères, à l'instar de Baudelaire équipé de ses "paradis artificiels", ont accouché de cette oeuvre dans les vapeurs de l'alcool et les sueurs de la drogue, le résultat ne pouvait être que malsain, glauque et déjanté. Répartition des rôles : Bashung à la musique, Gainsbourg pour les textes. Il est intéressant de noter que Gainsbourg s'est bien adapté à l'univers de son comparse ; les jeux de mots et les thèmes sexuels chers au bonhomme sont bien là, mais la trame narrative n'est aucunement explicite et s'habille de cette poésie surréaliste et trouble qu'affectionne Alain. Le texte oscille ainsi entre paradoxes graveleux et calembours de (très) mauvais goût parfaitement assumés, tandis que la musique s'empare avec délice des dernières techniques de réverbération et des synthés à la mode pour en subvertir la tonalité kitch. Ces timbres deviennent alors merveilleusement malsains et contribuent largement à l'ironie grinçante, à l'ambiance grotesque, bouffonne et sombre (oui oui, tout cela à la fois) du disque. On ne sait jamais si l'on doit rire ou frémir, jubiler comme un sale gamin du plaisir régressif de certaines chansons ou répudier ces dernières dans un sursaut de dégoût et de dédain. Cette trouble indécision est à mon semble la plus grande réussite de ce suicide commercial.

   En voici deux extraits, "Lavabo" et "C'est comment qu'on freine" :

http://www.youtube.com/watch?v=BQZVRmOmonQ

http://www.youtube.com/watch?v=IyGSLZ9FG_k&feature=related

A bientôt pour la suite... le meilleur est à venir !

 

 

 

25 mai 2012

"Bitches on the corner", albums phares du Miles électrique

Chers internautes !

   Voici enfin venue la conclusion de cette longue retrospective sur mon musicien fétiche que, je l'espère, vous pris autant de plaisir à lire que moi à l'écrire. Je vais donc faire un petit commentaire sur deux albums importants de la période 68-75 : Bitches Brew et On the Corner.

I-Bitches Brew (1969)

cover

   On peut dire que ce disque sait se vendre malgré son titre provocateur ("Brouet de salopes" hmmm... il faut dire que c'est le registre courant pour Miles) : quelle pochette ! Assurément l'une des plus réussies que je n'ai jamais vues. Certes, elle est très influencé par l'esthétique "psyche" qui a cours chez les groupes de rock de la fin des années 60', mais c'est vraiment du grand art ! En plus, et c'est assez rare pour le souligner, elle prépare assez bien l'auditeur à ce qu'il va entendre : elle marie le chaud et le froid, l'eau et le feu, l'ombre et la lumière, le tellurique et l'abstrait... et elle sent bon le trip hallucinatoire sous LSD (Miles sera souvent en nage, à l'instar du beau et étrange profil féminin de la pochette, lorsqu'il sera sous l'emprise de la came). Enfin, elle évoque l'Afrique profonde et immémoriale, cristallisant instantanément le fantasme césairien de la négritude.

   Car cette musique, c'est un saut dans le temps, vers les sources primitives et sauvages de l'humanité, vers les champs occultes et le langage des origines. C'est bouillonnant, minéral, puissant. Cette musique c'est la traduction sonore de la pulsation quintessentielle qui anime toute vie... bon, j'en fais tellement que tous ceux qui tomberont sur ce disque seront déçus, cherchant en vain la dimension transcendante et sacré que je ressens pourtant poindre dans cette oeuvre.

   Plus concrètement, cette musique est un peu un mélange de jazz, de musique, de funk et de rock, mais sans être rien de tout cela et en empruntant vaguement à chacun. Je pense que la meilleure appellation serait "jazz fusion" ou "jazz psychédélique". Mais en aucun cas jazz-rock, ce que beaucoup trop de gens continuent à dire. Le jazz-rock voit son premier grand représentant avec le Hot Rats (génial par ailleurs) de Frank Zappa, beaucoup plus fun et ouvertement virtuose que le disque de Miles.

   Bitches Brew n'emprunte vraiment au rock qu'une certaine énergie dont la guitare est loin d'être la principale cause. L'énergie vient plutôt de la sonorité rugeuse, acide et percutante du "fender rhodes", ce fameux clavier électrique dont la sonorité me fait toujours autant voyager. Cette musique n'est pas violente pour un sou, elle est énergique, électrique, et à la fois très abstraite et onirique. C'est un peu comme si, autour du noyau grouillant et rythmique, véritable microcosme induit par la basse, la batterie (qui se cantonnent à des boucles répétitives) et les claviers, passaient des ombres, des fulgurances, des touches de couleurs, le tout tissant, dans un même mouvement, un véritable tableau impressionniste, aussi viscéral que spirituel.

   Je me rends compte, en me relisant, combien il est difficile de décrire cette musique. Il me reste à définir le rôle de Miles, aussi capital que parcimonieux. Ses compagnons créent la matière, lui est le démiurge, le guide qui va lui indiquer la direction à prendre. Sa voix oraculaire et sombre, dans un langage mystérieux, va infléchir les errances hypnotiques du groupe à chacune de ses interventions. Cette image du sorcier, maître des éléments, qu'on a parfois prêté à Miles, ne collera jamais à sa peau mieux qu'ici.

   Reste un dernier point à souligner : le rôle du producteur Teo Macero, de plus en plus important à partir de 1968 dans la conception des albums de Miles. En effet, c'est lui qui donnera aux diverses compositions, par le biais de collages entre les diverses sections jouées, leur visage définitif. En effet, Miles a coutume à cette période de laisser tourner les bandes et de "jammer" pendant des heures. Après, il choisit avec Teo les meilleurs passages, que ce dernier a pour tâche de réorganiser pour fabriquer des morceaux. Cette méthode "composition" était, mine de rien, assez révolutionnaire pour l"époque. En tout cas, il s'agit d'un grand disque, dont la stupéfiante modernité ne s'est toujours pas émoussée avec le temps. Et au fil des écoutes l'auditeur de se dire, invariablement : "mais comment ont-ils fait ?"

  Je vous fais écouter le morceau titre, dont l'ambiance dégagée par le "thème" (en effet, il y a bien peu de "mélodies" dans ce disque) est fabuleuse, notamment par l'usage divin des claviers (quelles harmonies, quelles couleurs !) :

http://www.youtube.com/watch?v=FJk69zvgBhU

 

II-On the Corner (1972)

albumcoverMilesDavis-OnTheCorner

     A nouveau, quelle pochette ! Je trouve le style BD/grafitti du plus bel effet ! Et, là encore, elle représente assez bien la musique qu'elle introduit de par les tenues "funky" des habitants et le côté délibérément urbain. On passe de la jungle africaine à la jungle new yorkaise, et à la musique, cela s'entend. Le groove est beaucoup plus musclé que dans Bitches Brew, et surtout beaucoup plus obsédant, réduisant de beaucoup la dimension coloriste et impressionniste de l'effort de 1972. Ici, cela joue "funk", au sens étymologique du terme, c'est "gras", plein de sueur et de réverb', de bruit et de fureur. Miles a électrifié sa trompette, et ne fait que hurler des notes stridentes et déslées, enfouies dans le magma dense et touffue de la musique. Il y a plus d'instruments encore que dans Bitches Brew, perdus dans une production très réverbérée qui mélange tous les timbres en une espèce de pâte épaisse, bariolée, incontrolable et absolument fascinante (indigeste pour les détracteurs, et je peux comprendre leurs réactions). Les interventions solistes sont à peine audibles derrière le fracas de la basse, des claviers et des persussions. Pour beaucoup, c'est le disque le plus jusqu'au-boutiste de Miles, le plus radical.

   Pour cet album, Miles s'est associé au compositeur contemporain Paul Buckmeister qui lui a fait découvrir Stockhausen et sa technique du loop, ces boucles hypnotiques répétées à l'infini qui aboutissent à la transe. En même temps, le trompettiste écoutait beaucoup le groupe de funk Sly and the family stone, très engagé et assez nerveux. Vous saisissez maintenant le pari fou de cet album : marier le funk et la musique contemporaine ! Pour beaucoup, le disque n'est qu'une bouillie informe. Pour d'autres, il offre une matière expérimentale fascinante et UNIQUE en son genre ! Je fais clairement partie de cette deuxième catégorie ; je trouve l'album incroyable, peut-être un peu long, mais tout comme Bitches Brew, d'une formidable modernité. Je lui reproche cependant de ne se composer que de deux morceaux reposant sur quatre piste. Si la première forme un tout, le trois autres sont clairement issus de la même "jam" et offrent le même pattern rythmique, ce qui sent un peu le manque d'inspiration je trouve.

   Je vous renvoie à l'extrait suivant pour un extrait de cet album.

   Voilà, j'espère que cette rétrospective vous a plu, et à bientôt pour de nouvelles aventures musicales !

 

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Porcupine Music "L'art qui vous prend à rebrousse poil"
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