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Porcupine Music "L'art qui vous prend à rebrousse poil"
16 août 2012

"What's in this bird ?" le crépuscule d'une idole

20080214180813_2008-02-17-bashung-alain-26-05-2007Bashung en 2007. On voit que par rapport à la photo du début de ma chronique, de l'eau a coulé sous les ponts. Toutefois, le poivre et sel de sa chevelure est-il dû à la vieillesse où aux lentes morsures de la maladie qui le rongeait alors et dont la cause se trouve à quelques centimètres de son visage ?


Bonjour, chers internautes ! Je poursuis sans tarder ma chronique.

   L'essai "country new age" de 1994 n'a pas été concluant, et le tube "Ma petite entreprise" n'a pas suffi à faire décoller les ventes d'album. Mais en 1998, Bashung frappera très fort avec ce que beaucoup considèrent comme son chef-d'oeuvre : Fantaisie Militaire.

II-Fantaisie militaire (1998)

fantaisiemilitairebashung

   La pochette de l'album a pourtant de quoi faire fuir ! Voir le chanteur faire la planche dans des eaux marécageuses n'est pas très engageant, encore moins si on considère cette raideur comme la marbrure du cadavre. Cette fois, le rockeur baigne littéralement dans ses névroses, plonge dans la matière même de sa folie. Je ne savais moi-même pas trop à quoi m'attendre en tombant nez à nez avec ce disque, avec la figure d'un artiste que je ne connaissais pas encore. En effet, cet album a d'abord été un cadeau pour ma mère. Quel choc ce fut à mes vierges oreilles de petit gamin de douze ans ! Je n'avais jamais entendu une telle voix, aussi chargée de mélancolie et de troublante solennité ! Jamais non plus je n'avais entendu de paroles si étranges ! Bien que leur sens m'échappât, j'étais frappé de la musique des vers et des jeux de mots en tous genres qui émaillaient les chansons... Bon je m'égare, vous n'êtes pas là pour subir les pauvres émois d'un mélomane prépubère.

   La musique ne poursuit pas le minimalisme technoïde et trouble de son prédécesseur mais en garde la noirceur générale, tout en diversifiant l'habillage sonore de poèmes toujours plus abscons et étranges. Ce disque-synthèse s'attache davantage à varier les ambiances et navigue entre rage ("Mes prisons", "Fantaisie militaire" qui font parler la distorsion), clarté ("Ode à la vie"), onirisme pur ("Dehors" ou "Aucun express") ou poignante mélancolie ("Angora", qui doit sûrement faire référence à ses problèmes pulmonaires). Plusieurs éléments peuvent néanmoins servir de fil rouge dans ce labyrinthe des émotions :

   -la voix (encore) : Bashung semble s'être décidé à chanter et à laisser tomber ce "sprechgesang" si particulier de l'opus précédent (sans abandonner son style récitatif. Point d'envolées opératiques ici, je vous rassure). Le poète reste dans les graves et donne une majesté inattendue à ses paroles. Beaucoup moins nasillarde qu'auparavant, elle se fait plus ronde. La profondeur des images et les résonances chariées par les textes s'en trouvent magnifiées.

   -L'instrumentation a sensiblement changé par rapport à l'opus précédent. Exit les relents de country mutante, la guitare brumeuse, errante ou les gimmicks technoïdes. Le son est beaucoup plus accoustique, laissant davantage parler la guitare sèche, et les nappes de synthé (presque'une première chez lui) sont très en retrait. Les violons sont également plus présents, et apportent une touche de lyrisme sans tomber dans le mielleux. Enfin, détail amusant, la plupart des morceaux déploient des motifs arabisants et des gammes orientales plutôt inédites chez Bashung. On pense à "2043", "Mes Prisons", "Au pavillon des lauriers" entre autres.

   Tous les morceaux valent le coup d'oreille et vous plongent dans un univers à part fascinant. Je vais m'intéresser à deux d'entre eux : "2043" et "Angora", que j'aime particulièrement. Le premier se repose avant tout sur une rythmique envoûtante à base de percussions tribales tandis qu'un clavier remâche en boucle un ostinato orientale qui met à l'honneur la seconde augmentée. Il conte une version hallucinée de la belle au bois dormant scandée par un oracle à moitié fou (" la réveillez pas, laissez-la, la réveillez pas, pas avant 2043"). La seconde, très dépouillée, repose sur un accompagnement minimimaliste, balance binaire entre la fondmentale et l'harmonie des accords. La voix, plaintive, semble évoquer les problèmes pulmonaires du chanteur de manière poignante ( "le souffle coupé, la gorge irritée, je m'époumonnais, sans broncher / Angora, montre-moi d'où vient la vie, où vont les vaisseaux maudits").
Voici les videos, correspondantes :

    Bon, "2043" ne semble pas disponible sur dailymotion (grrrrrrrr). Je passe donc au grand tube du disque, "La nuit je mens", qui raconte comment le narrateur a menti à sa femme, et peut-être à lui-même, un homme qui a vécu "à côté de ses bottes" (vous comprendrez en écoutant la chanson).

   Fantaisie militaire, emmené par la chanson sus-citée, est un carton, et Bashung reçoit une victoire de la musique pour cette oeuvre (je sais, cette institution n'est peut-être pas une référence mais bon). Cependant, notre homme n'aime guère les positions confortables, et aura "l'imprudence"(je sais c'est facile), alors qu'il est au sommet de sa popularité, de proposer l'album le plus sombre et le plus ambitieux de sa carrière...
III-L'Imprudence (2002)
 

Alain_Bashung-L_imprudence-Frontal


 
   Le voici, le diamant noir de Bashung, un album qui m'aura fortement marqué dans mes années lycée (aux côtés de... Miles Davis bien sûr, que je découvrais avec le coffret The Complete In a Silent Way Sessions et dont je pensais, naïvement, que je tenais l'oeuvre intégrale entre les mains ! J'étais loin du compte...). On a par la suite beaucoup comparé cette oeuvre à Ferré pour la noirceur désespérée qui s'en dégage, et qui contamine jusqu'à la pochette (avouez qu'on peut difficilement faire plus sinistre.) Ca y est, Bashung a achevé la plongée du disque précédent et se retrouve tout au fond, près à en découdre avec ses démons les plus enfouis. Il faut soigner le mal par le mal paraît-il... Alors, qu'est-ce que ça donne ?
   Musicalement, l'album est beaucoup plus homogène que le précédent, et se maintient dans une ambiance étouffante et crépusculaire. La percée des violons dans l'opus précédent se confirme et les cordes envahissent l'espace. Donnant l'impression d'un orchestre de chambre par l'adjonction de quelques vents timides, elles étendent une tonalité lyrique et tragique à tout le disque. Le piano se fait également plus présent et, une première pour un Bashung, la guitare n'occupe qu'un rôle très secondaire. L'harmonica du poète, toujours présent dans ses chansons, et qui distille habituellement un parfum de country vaguement nostalgique, devient ici un véritable chant du cygne, déchirant et plaintif.
   Il faut bien remplacer le chant de la voix par celle de l'instrument, puisqu'ici, Bashung se fait pleinement récitant, et se maintient dans le registre grave, voire d'outretombe. L'inflexion, très libre, de la voix, est pleinement au service du texte, laissant tout le travail musical et mélodique à la musique. Bashung est ici un acteur et un brillant interprète, mais plus un chanteur (ou si peu). Les textes visent encore parfois au-dessous de la ceinture (l'érotisme restera toujours au centre des préoccpupations de l'artiste) mais toute provocation à disparu pour laisser place à une noble tristesse, comme si, à l'instar de Mallarmé, Bashung comprenait que "la chair est triste". Ainsi, "Faites monter" semble fêter la vanité de la jouissance, "Mes bras" constatent l'inanité de l'étreinte amoureuse et la sentence de "Faisons envie", "faisons envie...jusqu'au dégoût"veut tout dire.
 
   Cela dit, tout est-il absolument noir, monochrome, dans ce disque ? Non, l'instrumentation promet quelques fulgurantes envolées lyriques et transportent l'auditeur vers une clarté aveuglante, comme une respiration avant d'affronter les ténèbres qui vont suivre. La plus incroyable est celle de "L'Irréel", un morceau qui part de manière on ne peut plus lugubre pour s'achever sur une parabole lumineuse et palpitante.
http://www.youtube.com/watch?v=v2FebJntBIA  "L'Irréel". La version concert est différente et le passage lyrique y est moins flagrant. Traquez la
 
version studio.
 
  
   Je termine tout de même par un morceau qui continue à me poser problème : "Le dimanche à Tchernobyl". Je ne comprends pas où Bashung a voulu en venir. S'il voulait mettre l'auditeur mal à l'aise, il a parfaitement réussi ! Voulait-il dénoncer de cette manière étrange la catastrophe de Tchernobyl ? Toujours est-il que le texte semble adopter le point de vue d'un irradié qui semble être fasciné par les effets secondaires de cette exposition : "tu m'irradieras encore longtemps, au delà des portes closes".Beau mais... dérangeant, ( et imprudent) pour le moins. Jugez plutôt :
   Pour conclure, je dirais que l'Alsacien a certainement produit l'un de ses meilleurs disques, et l'un des fleurons de la chanson française tout court. L'album, difficile d'accès, n'a pas fait l'unanimité, mais a gagné un succès d'estime certain auprès des critiques et des fans endurcis.
  Voilà, je suis un peu fatigué et conclurais la prochaine fois !
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