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Porcupine Music "L'art qui vous prend à rebrousse poil"
3 mai 2012

Electric Miles (1968-1975)

    Bonjour chers internautes !

   Il était temps, après une longue pause de plus de deux mois, de reprendre ma rétrospective sur Miles Davis ! Je dirais même plus, je vais l'achever ici, parce que notre trompettiste n'a plus fait de bonne musique après 1975 ! ... J'entends d'ici, virtuellement, les remontrances... et le live We want Miles, véritable explosion volcanique, avec un Mike Stern déchaîné à la guitare,et un Marcus Miller impérial à la basse électrique (personnage-clé de la musique de Miles dans les 80') sorti en 1981 ? Et Aura, qui reprend la glorieuse formule orchestrale du couple Miles Davis-Gil Evans et la mâtine de musique contemporaine, sorti en 1985 ? Et Tutu, véritable carton commercial entièrement composé par Marcus Miller, sorti en 1986 ? Certes, ce sont de bons disques... mais ils n'ont plus l'affolante originalité et l'étrangeté de la période seventies. De plus, Miles a eu la mauvaise idée d'employer les synthétiseurs et la production 80' (notamment cette fameuse batterie atrocement réverbérée, kitch au possible... enfin, ce n'est que mon avis), qui, à mes oreilles, ont atrocement vieilli. Aussi, paradoxalement, les chefs d'oeuvres des années 50' et les expériences fascinantes des 70' sonnent toujours aussi neuves et ne subissent pas les outrages du temps, alors que ses disques typés 80' paraissent déjà terriblement datés. Je pense que, cette fois, Miles n'a pas su transcender son époque et tirer son épingle du jeu comme il a toujours su si bien le faire, notamment pendant la période qui nous intéresse ici.

   Cela m'amène à un deuxième constat : c'est au tournant des 70' que la musique du trompettiste va être la plus expérimentale. C'est aussi la période où elle va connaître ses bouleversements les plus profonds et les plus nombreux. Il est stupéfiant de constater à quel vitesse elle va évoluer, parfois en l'espace de quelques mois. Un monde sépare l'éthéré In a Silent Way et Bitches Brew, bouillonnant et tellurique, sortis tous les deux en 1969. Un abîme tout aussi grand les éloignent de A tribute to Jack Johnson, bande son d'un documentaire dédié au premier boxeur noir à être champion du monde dans la catégorie poids lourd (Miles est un grand amateur de boxe et n'hésite pas à pratiquer), véritable brûlot blues-rock sorti l'année suivante. 

   Rock. Le mot est lâché. Miles ne fera plus de "jazz" proprement dit, ce qui va rendre malades les critiques qui l'ont tojours hissé jusque-là sur un piédestal (notamment Stanley Crouch, que l'on voit dans l'excellent documentaire Miles electric : a different kind of blue et que je vous conseille, notamment pour le fabuleux concert que le maître donnera à l'Ile de Wight devant 600 000 personnes sans doute médusées). N'y comprenant rien, jugeant la musique répétitive et informe, ils vont descendre le trompettiste qu'ils ont jusqu'alors toujours encensé. Ils vont également l'accuser de faire une musique plus commerciale et de s'être vendu. Or, à mon sens, rien n'est plus faux. Certes, la musique produite par Miles n'a sans doute plus grand chose à voir avec le jazz, certes elle va emprunter au rock son énergie (les guitares saturées, incarnées entre autres par le furieux John Mc Laughlin) et au funk sa rythmique, genres musicaux alors en vogue. Mais je dois m'indigner : EN AUCUN CAS CETTE MUSIQUE N'EST COMMERCIALE UN SEUL INSTANT, NON DE DIEU ! C'est même l'une des périodes, à mon sens, les plus difficiles d'accès, si l'on excepte In a Silent Way et Jack Johnson, assez abordables. Faut-il rappeler que, si Bitches Brew, malgré son incroyable modernité et son statut d'ovni musical (je reviendrai sur ce fascinant chef-d'oeuvre), s'est vendu à 500 000 exemplaires (du jamais vu pour un disque de jazz à l'époque), On The Corner a fait un bide monumental parce que trop en avance sur son temps, alors que Miles entendait entendait reconquérir le public noir en injectant du funk dans sa musique (mais quel funk ! Encore un chef d'oeuvre à chroniquer) ???

   Bien, j'ai fini mon petit coup de gueule contre les critiques et les journalistes obtus. Parlons en, de cette musique. Il va être difficile de faire une description globale capable d'embrasser une période aussi bariolée et hétérogène en terme d'esthétique et de line-up. C'est la période où Miles change le plus souvent de musiciens et se retrouve capitaine d'ensembles à effectifs très variables, allant du quartet au "big band". Dresser une liste de tous ces partenaires serait long et fastidieux ; j'en oublierais sûrement. Ce que je peux dire, c'est que tous (mea culpa, j'allais oublier les excellents Soft Machine et Frank Zappa, qui ne sont pas passés chez Miles) les leaders des grands groupes de jazz-rock et de jazz-fusion des années 70' ont été conviés aux premières expérimentations électriques du trompettiste : Herbie Hancock au sein de son cosmique Mwandishi Band puis à la tête des Headhunters, John McLaughlin et son Mahavishnu Orchestra, aux relents de transe indienne, Wayne Shorter et Joe Zawinul avec Weather Report et Chick Corea au sein de Return to Forever. Tous sont redevables de près ou de loin au sorcier noir, si bien que l'on parle de "galaxie Miles" lorsque l'on parle de tous ces groupes (souvent excellents par ailleurs, mon préféré étant le Mwandishi Band d'Herbie Hancock).

   La principale nouveauté de cette musique, à mon sens, réside dans sa forme. En effet, Miles a poussé jusqu'au bout son principe du minimalisme dans ses morceaux (peut-on encore les appeler ainsi ?) : plus de début ni de fin, presque plus de thème, plus de grilles harmoniques précises. Mais alors que reste-t-il ? La basse et la rythmique. Le centre de gravité de la musique se trouve désormais dans le groove et le pattern rythmique de la batterie et de la basse, (qui donne la note pivot, la tonique, seule indication "mélodique" stable) répétés ad nauseam. Autour de ce point d'ancrage, il peut se passer à peu près tout et n'importe quoi, aussi longtemps que le maître voudra chauffer sa marmite. La musique devient alors une sorte de transe fascinante et hypnotique, au centre de laquelle se perd l'auditeur. C'est pourquoi Miles va priviléger les grands ensembles, car ce qui l'intéresse, c'est l'obtention d'une ambiance, d'un "son", d'une créature organique. Le trompettiste ne raconte plus d'histoire, il peint un tableau, crée un univers, un monde, dont la basse et la batterie serait le centre, autour duquel graviteraient tous les autres musiciens. Ainsi, la musique a commencé bien avant le début et se terminera bien après la fin. Entretemps, on aura examiné ce drôle d'organisme, on l'aura regardé respirer, on aura observé, fasciné, les éléments et les strates qui le composent. Alors, bien sûr, on aimera ou pas ces longues divagations, ces improvisations collectives touffues et bariolées, parfois éprouvantes et peu confortables à l'oreille. Je conçois que l'auditeur, lassé de ne retenir aucun thème, aucune mélodie marquante, abandonne ces pièces-fleuves qui atteignent régulièrement la demi-heure. Pourtant, elles témoignent à nouveau de l'incroyable intuition d'un musicien qui parvient à créer un univers unique et cohérent à partir des éléments les plus disparates et les plus contradictoires. Et j'enfonce le clou : aucun groupe de jazz-rock, de funk, de rock progressif ou psychédélique n'a obtenu ce type de résultat, avec parfois les mêmes ingrédients. Miles a proposé sa vision personnelle de la musique électrique (les claviers et guitares et électriques sont de rigueur tout le long de cette période. Le trompettiste va même finir par électrifier son propore instrument avec la pédale wah-wah), unique et inimitable. C'est pourquoi, à nouveau, je me dresse qui dise que Miles a perdu son originalité et sa modernité au cours de ces années-là. Je considère que Bitches Brew et On the Corner sonnent toujours de manière aussi moderne, et qu'ils ont encore plusieurs longueurs d'avance à notre époque. De nombreuses pistes ouvertes par ces disques n'ont pas encore été explorées, à mon avis.

Allez, je suis sûr qu'après mon panégyrique enflammé (je reconnais que je manque un tantinet d'objectivité, parfois), vous mourez d'envie de vous plonger dans le magma sonore de ce jazz-funk-rock-électronico-contemporain. Voici la dernière piste d'On The Corner (23 min de bonheur !) qui s'intitule "Helen Butte/Mr. Freedom X" :

(Lien Youtube, comme d'habitude, Dailymotion est un incapable :http://www.youtube.com/watch?v=qxhBSb1LlXA)

Pour conclure ce (long et peut-être un peu verbeux) message, je ne peux résister à l'envie d'envoyer quelques clichés du maître à cette période, qui a toujours suivi les modes en matière de tenue vestimentaire. Miles façon "psyche", ça vaut le coup d'oeil. Vous trouvez cela de mauvais goût ?

Miles Davis oslo 1971 Oslo 1971                                          miles71Londres 1971miles                                            Miles Davis 1973

   Avec Pete Cosey 1973                                                                             Avec Dave Liebman et Mtume (en arrière plan) 1973

                                                                                                                 Visez-moi ces lunettes !

 

 

Miles+Davis+MILES+DE+DAVIS+ZARAGOZAMiles Davis dans les années 80'. Le summum de la classe et de l'élégance

 

 

 

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