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Porcupine Music "L'art qui vous prend à rebrousse poil"
25 mai 2012

"Bitches on the corner", albums phares du Miles électrique

Chers internautes !

   Voici enfin venue la conclusion de cette longue retrospective sur mon musicien fétiche que, je l'espère, vous pris autant de plaisir à lire que moi à l'écrire. Je vais donc faire un petit commentaire sur deux albums importants de la période 68-75 : Bitches Brew et On the Corner.

I-Bitches Brew (1969)

cover

   On peut dire que ce disque sait se vendre malgré son titre provocateur ("Brouet de salopes" hmmm... il faut dire que c'est le registre courant pour Miles) : quelle pochette ! Assurément l'une des plus réussies que je n'ai jamais vues. Certes, elle est très influencé par l'esthétique "psyche" qui a cours chez les groupes de rock de la fin des années 60', mais c'est vraiment du grand art ! En plus, et c'est assez rare pour le souligner, elle prépare assez bien l'auditeur à ce qu'il va entendre : elle marie le chaud et le froid, l'eau et le feu, l'ombre et la lumière, le tellurique et l'abstrait... et elle sent bon le trip hallucinatoire sous LSD (Miles sera souvent en nage, à l'instar du beau et étrange profil féminin de la pochette, lorsqu'il sera sous l'emprise de la came). Enfin, elle évoque l'Afrique profonde et immémoriale, cristallisant instantanément le fantasme césairien de la négritude.

   Car cette musique, c'est un saut dans le temps, vers les sources primitives et sauvages de l'humanité, vers les champs occultes et le langage des origines. C'est bouillonnant, minéral, puissant. Cette musique c'est la traduction sonore de la pulsation quintessentielle qui anime toute vie... bon, j'en fais tellement que tous ceux qui tomberont sur ce disque seront déçus, cherchant en vain la dimension transcendante et sacré que je ressens pourtant poindre dans cette oeuvre.

   Plus concrètement, cette musique est un peu un mélange de jazz, de musique, de funk et de rock, mais sans être rien de tout cela et en empruntant vaguement à chacun. Je pense que la meilleure appellation serait "jazz fusion" ou "jazz psychédélique". Mais en aucun cas jazz-rock, ce que beaucoup trop de gens continuent à dire. Le jazz-rock voit son premier grand représentant avec le Hot Rats (génial par ailleurs) de Frank Zappa, beaucoup plus fun et ouvertement virtuose que le disque de Miles.

   Bitches Brew n'emprunte vraiment au rock qu'une certaine énergie dont la guitare est loin d'être la principale cause. L'énergie vient plutôt de la sonorité rugeuse, acide et percutante du "fender rhodes", ce fameux clavier électrique dont la sonorité me fait toujours autant voyager. Cette musique n'est pas violente pour un sou, elle est énergique, électrique, et à la fois très abstraite et onirique. C'est un peu comme si, autour du noyau grouillant et rythmique, véritable microcosme induit par la basse, la batterie (qui se cantonnent à des boucles répétitives) et les claviers, passaient des ombres, des fulgurances, des touches de couleurs, le tout tissant, dans un même mouvement, un véritable tableau impressionniste, aussi viscéral que spirituel.

   Je me rends compte, en me relisant, combien il est difficile de décrire cette musique. Il me reste à définir le rôle de Miles, aussi capital que parcimonieux. Ses compagnons créent la matière, lui est le démiurge, le guide qui va lui indiquer la direction à prendre. Sa voix oraculaire et sombre, dans un langage mystérieux, va infléchir les errances hypnotiques du groupe à chacune de ses interventions. Cette image du sorcier, maître des éléments, qu'on a parfois prêté à Miles, ne collera jamais à sa peau mieux qu'ici.

   Reste un dernier point à souligner : le rôle du producteur Teo Macero, de plus en plus important à partir de 1968 dans la conception des albums de Miles. En effet, c'est lui qui donnera aux diverses compositions, par le biais de collages entre les diverses sections jouées, leur visage définitif. En effet, Miles a coutume à cette période de laisser tourner les bandes et de "jammer" pendant des heures. Après, il choisit avec Teo les meilleurs passages, que ce dernier a pour tâche de réorganiser pour fabriquer des morceaux. Cette méthode "composition" était, mine de rien, assez révolutionnaire pour l"époque. En tout cas, il s'agit d'un grand disque, dont la stupéfiante modernité ne s'est toujours pas émoussée avec le temps. Et au fil des écoutes l'auditeur de se dire, invariablement : "mais comment ont-ils fait ?"

  Je vous fais écouter le morceau titre, dont l'ambiance dégagée par le "thème" (en effet, il y a bien peu de "mélodies" dans ce disque) est fabuleuse, notamment par l'usage divin des claviers (quelles harmonies, quelles couleurs !) :

http://www.youtube.com/watch?v=FJk69zvgBhU

 

II-On the Corner (1972)

albumcoverMilesDavis-OnTheCorner

     A nouveau, quelle pochette ! Je trouve le style BD/grafitti du plus bel effet ! Et, là encore, elle représente assez bien la musique qu'elle introduit de par les tenues "funky" des habitants et le côté délibérément urbain. On passe de la jungle africaine à la jungle new yorkaise, et à la musique, cela s'entend. Le groove est beaucoup plus musclé que dans Bitches Brew, et surtout beaucoup plus obsédant, réduisant de beaucoup la dimension coloriste et impressionniste de l'effort de 1972. Ici, cela joue "funk", au sens étymologique du terme, c'est "gras", plein de sueur et de réverb', de bruit et de fureur. Miles a électrifié sa trompette, et ne fait que hurler des notes stridentes et déslées, enfouies dans le magma dense et touffue de la musique. Il y a plus d'instruments encore que dans Bitches Brew, perdus dans une production très réverbérée qui mélange tous les timbres en une espèce de pâte épaisse, bariolée, incontrolable et absolument fascinante (indigeste pour les détracteurs, et je peux comprendre leurs réactions). Les interventions solistes sont à peine audibles derrière le fracas de la basse, des claviers et des persussions. Pour beaucoup, c'est le disque le plus jusqu'au-boutiste de Miles, le plus radical.

   Pour cet album, Miles s'est associé au compositeur contemporain Paul Buckmeister qui lui a fait découvrir Stockhausen et sa technique du loop, ces boucles hypnotiques répétées à l'infini qui aboutissent à la transe. En même temps, le trompettiste écoutait beaucoup le groupe de funk Sly and the family stone, très engagé et assez nerveux. Vous saisissez maintenant le pari fou de cet album : marier le funk et la musique contemporaine ! Pour beaucoup, le disque n'est qu'une bouillie informe. Pour d'autres, il offre une matière expérimentale fascinante et UNIQUE en son genre ! Je fais clairement partie de cette deuxième catégorie ; je trouve l'album incroyable, peut-être un peu long, mais tout comme Bitches Brew, d'une formidable modernité. Je lui reproche cependant de ne se composer que de deux morceaux reposant sur quatre piste. Si la première forme un tout, le trois autres sont clairement issus de la même "jam" et offrent le même pattern rythmique, ce qui sent un peu le manque d'inspiration je trouve.

   Je vous renvoie à l'extrait suivant pour un extrait de cet album.

   Voilà, j'espère que cette rétrospective vous a plu, et à bientôt pour de nouvelles aventures musicales !

 

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