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Porcupine Music "L'art qui vous prend à rebrousse poil"
30 juin 2012

Bashung l'imprudent

 

  

alain_bashung_fume_en_1982Bashung en 1982, l'époque bénie de Play Blessures. Notre rocker déglingué s'est adjoint l'aide de Gainsbourg pour fouiller ses névroses au bistouri ; l'art de "remuer le couteau dans la plaie"

 

Bonjour chers internautes !

   Aujourd'hui, je vais parler de celui que je considère comme le plus grand artiste de la chanson française. Je sais, c'est très osé, les prétendants à ce titre sont nombreux : Jacques Brel, Georges Brassens, Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Barbara et j'en passe... Ce choix est donc purement subjectif. En fait, il a tout simplement réalisé trois des disques qui m'ont le plus bouleversé en chanson française : Chatterton, Fantaisie militaire et surtout l'incroyable L'Imprudence, qui est pour moi le meilleur album de l'artiste.

   Comme Miles Davis, Alain Bashung a constamment chassé la redite et peu de ses albums se ressemblent. Sauf que, contrairement à l'ange noir, le rocker a tracé son sillon sans vraiment se soucier des modes en vogue, et a surtout travaillé à rendre son son de plus en plus intime, singulier, impénétrable. Les jalons de cet univers :

  1. -une musique très variée, mariant une multitude d'influences dont le rock n'est qu'une balise parmi d'autres (on passe de la "new/cold wave sous acide" à la country/folk américaine et la musique classique)
  2. -une voix hors du commun, entre couinements rauques, dérapages contrôlés et incantation caverneuse. Elle n'est pas vraiment "agréable" mais possède un timbre immédiatement identifiable. Bashung est, avant d'être un chanteur, un interprète remarquable.
  3. -enfin, last but not least, des textes très poétiques, toujours travaillés, qu'ils soient chargés d'un érotisme violent, d'une obscénité cachée (bel oxymore) d'une mélancolie abstraite ou d'un surréalisme désespéré. La musique du texte a souvent plus d'importance que le sens de son contenu, et remue souvent des régions insoupçonnées de notre inconscient

  Bashung n'a connu le succés que très tard, en 1980, avec Gaby oh Gaby et Vertige de l'amour alors qu'il avait déjà trente-trois ans et pratiquement quinze ans de carrière. Il faut dire que le bonhomme est tiraillé entre l'envie de percer et le désir de trouver sa voie/voix personnelle. Passée cette accession à la lumière, Bashung s'est senti libre de faire ce qu'il voulait. Il est rassurant de voir qu'un artiste peut percer en musique sans faire la moindre concession à une musique vendeuse et commerciale !

   C'était pourtant loin d'être gagné, car la période près 80' avait bien du mal à dessiner la forte personnalité qui s'est exprimée après. Bashung chantait selon la mode de l'air du temps, sans être vraiment convaincant. Ses textes, bien que caustiques, n'avaient pas le trouble hermétisme de la suite. Néanmoins, les quelques traces discographiques qui restent ont le mérite de remettre les pendules à l'heure concernant la voix du chanteur : oui, le rocker sait chanter, la voix déglinguée et presque fausse qu'il adopte par la suite est un choix délibéré de sa part, et ne résulte pas d'une carence technique. Allez, un petit extrait pour illustrer tout cela :

   
   Après cette phase de tatonnements, le chanteur commence enfin à tracer les contours de son style à la fin de 1979 avec l'album Roulette Russe, qui contient le tube Bijou, Bijou. Cette chanson pose des bases importantes : le décalage entre l'ambiance de la chanson et un texte destabilisant, entre émotion et ironie grinçante. En effet, Bashung semble faire un éloge paradoxal de la femme qu'il quitte : "Putain, c'que t'as été belle, quand tu t'mettais à genoux !". Notons enfin, et cette phrase en donne un bel exemple, l'étonnante faculté qu'ont Bashung et ses paroliers (il coécrivait la plupart de ses textes, ses principaux collaborateurs étant Boris Bergman, Jean Fauque ou un certain... Serge Gainsbourg le temps d'un disque), notamment dans les 80', à allier l'obscénité et les allusions crues à une pulation érotique d'une élégance folle. En somme, c'est très osé, voire trash, sans jamais être vulgaire (ce que, à mon avis, Gainsbourg n'a pas toujours su éviter dans ses derniers disques, notamment dans Love on the beat.)
   S'ensuit dans les années 80' une période cold/new wave où Bashung utilise les sonorités froides et synthétiques avec brio pour créer un univers malsain et déglingué. C'est dans cette période que sa voix se fait la plus rauque, la plus désagréable, et que ses textes sont les plus ouvertement sexuels, sans jamais être bêtement provocateurs. Le chanteur fait véritablement dans le laid, et cherche le sale dans le son et la production, ce qui fait de lui un espèce de "sale gosse", incarnant le punk et le rock décadent à la française. Le disque le plus réussi,  à mon avis de cette période, est l'album Play Blessures.
Play Blessures (1982)

51106PSXJPL

mod_article28681984_2Et voici les deux play boy auteurs de ce maladif méfait discographique. La photo est très pertinente : ces deux là sont effectivement fous à lier !

   Ce disque est le seul témoignage d'une callaboration avérée avec Serge Gainsbourg, même si l'on sait que les deux hommes s'appréciaient beaucoup dans la vie. Entre (géniaux) névrosés, on se comprend. Quand on sait que les deux compères, à l'instar de Baudelaire équipé de ses "paradis artificiels", ont accouché de cette oeuvre dans les vapeurs de l'alcool et les sueurs de la drogue, le résultat ne pouvait être que malsain, glauque et déjanté. Répartition des rôles : Bashung à la musique, Gainsbourg pour les textes. Il est intéressant de noter que Gainsbourg s'est bien adapté à l'univers de son comparse ; les jeux de mots et les thèmes sexuels chers au bonhomme sont bien là, mais la trame narrative n'est aucunement explicite et s'habille de cette poésie surréaliste et trouble qu'affectionne Alain. Le texte oscille ainsi entre paradoxes graveleux et calembours de (très) mauvais goût parfaitement assumés, tandis que la musique s'empare avec délice des dernières techniques de réverbération et des synthés à la mode pour en subvertir la tonalité kitch. Ces timbres deviennent alors merveilleusement malsains et contribuent largement à l'ironie grinçante, à l'ambiance grotesque, bouffonne et sombre (oui oui, tout cela à la fois) du disque. On ne sait jamais si l'on doit rire ou frémir, jubiler comme un sale gamin du plaisir régressif de certaines chansons ou répudier ces dernières dans un sursaut de dégoût et de dédain. Cette trouble indécision est à mon semble la plus grande réussite de ce suicide commercial.

   En voici deux extraits, "Lavabo" et "C'est comment qu'on freine" :

http://www.youtube.com/watch?v=BQZVRmOmonQ

http://www.youtube.com/watch?v=IyGSLZ9FG_k&feature=related

A bientôt pour la suite... le meilleur est à venir !

 

 

 

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